En Inde, l’industrie du diamant, mise à terre par la guerre en Ukraine, cherche à s’adapter

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Par  (Surate (Inde), envoyée spéciale)

Seuls les vélos et les deux-roues parviennent agilement à se frayer un chemin dans la fourmilière humaine de Mahidharpura Road, cœur battant du commerce de diamant à Surate (Gujarat), dans l’ouest de l’Inde. Chaque jour, des milliers d’hommes en chemisette affluent sur cette artère pour y vendre et y acheter des pierres précieuses. La foule déborde jusque dans les rues adjacentes.

Les tradeurs, installés pieds nus sur des coussins le long du trottoir, examinent, à l’œil nu ou à la loupe, les diamants bruts et les joyaux finement taillés. Dans leur poche de pantalon, des dizaines de pierres précieuses scintillantes sont emballées dans de simples feuilles de papier. Quelque 90 % des diamants dans le monde sont taillés en Inde, ce qui vaut à Surate le titre de capitale du diamant.

En dépit de ce bouillonnement apparent, l’industrie indienne traverse une passe difficile. Faute d’activité, Mahidharpura Road, qui grouillait d’ordinaire de monde jusqu’à 21 h 30, se vide désormais dès 18 h 30. Les tailleurs et les tradeurs sont contraints de rentrer chez eux plus tôt. « Nous sommes confrontés à une pénurie de pierres brutes à laquelle s’ajoute une faible demande », résume Amar Singh Rathore, qui négocie les prix des gemmes le long du trottoir. En cause : les sanctions imposées par les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux contre le plus gros extracteur de diamants au monde, le groupe étatique russe Alrosa.

Chute des importations de pierres brutes

New Delhi, allié historique de la Russie et partenaire de l’Occident, n’impose aucune sanction à Moscou. Mais la suspension des banques russes du réseau interbancaire Swift complique l’achat de pierres. Avant la guerre en Ukraine, on estime que 95 % des diamants russes étaient polis en Inde. Désormais, ils arrivent au compte-gouttes. « Au début de la guerre, certains paiements passaient encore, mais cela est de moins en moins le cas », déclare Vipul Shah, le président du Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC).

Les banques des commerçants soit ne peuvent pas, soit sont réticentes à financer les paiements de diamants russes, en raison des sanctions occidentales visant Moscou. Les importations de pierres brutes ont ainsi baissé de plus de 7 % entre avril 2022 et février 2023, en dollars. En volume (carats), elles ont dégringolé de plus de 21 %. Les exportations indiennes de diamants ont baissé de près de 30 %, en dollars, en janvier dernier, par rapport à janvier 2022.

Au moins 15 000 tailleurs et polisseurs de pierres ont déjà perdu leur emploi depuis le mois de février 2022 dans le Gujarat. Dans cet Etat, fief politique du premier ministre indien, Narendra Modi, et plaque tournante du diamant, cette industrie emploie entre 500 000 et 1 million de personnes. La plupart des licenciements sont consignés à la main dans des carnets entreposés dans le bureau de Bhavesh Tank, vice-président du syndicat des travailleurs du diamant dans le Gujarat.

« Les tailleurs sous contrat se font mettre à la porte et ceux payés à la pièce constatent une sévère baisse de leurs revenus », affirme le syndicaliste. Les petits revendeurs indépendants ont, eux aussi, vu leurs rentrées d’argent divisées par trois. « Nous prions tous pour que cette guerre se termine et que les affaires reprennent », déclare B. A. Patel, un tradeur qui gagne encore de 25 000 à 30 000 roupies (de 281 à 337 euros) par mois, contre 100 000 roupies auparavant.

« Main-d’œuvre ultraqualifiée »

Les zones rurales sont particulièrement affectées par cette pénurie de minéraux bruts. « La Russie fournit essentiellement les petits diamants, qui sont polis directement dans les campagnes, par des artisans à domicile. Si la situation n’évolue pas, nous allons au-devant de gros problèmes, car, en sanctionnant les pierres russes, l’Occident détruit les emplois de petites gens », s’indigne Dinesh Navadia, à la tête de l’Indian Diamond Institute, un centre de formation et de promotion soutenu par le gouvernement et l’industrie.

Pour le moment, les grands diamantaires ont simplement ralenti leur production, réduisant le temps de travail quotidien de huit à six heures et le nombre de jours hebdomadaires travaillés de six à cinq. « Ceux qui peuvent se le permettre ne licencient pas, de peur de perdre leur précieuse main-d’œuvre ultraqualifiée », explique Dinesh Navadia. La région de Surat est réputée pour son savoir-faire hors pair en matière de taille et de polissage de diamants, un art perfectionné sur plusieurs générations et qui se transmet encore largement oralement.

Si l’approvisionnement global en pierres brutes demeure un défi, certaines entreprises parviennent malgré tout à acheter discrètement aux mineurs russes. « Dans les quarante-cinq jours après le début de la guerre, nous avons pu recommencer à nous procurer des pierres russes et nous payons en roupies. Aujourd’hui, l’argent n’est plus un problème », affirme Nilesh Bodki, spécialisé dans l’import-export.

« Manque de liquidités »

Afin de faciliter le commerce en roupies avec la Russie, la banque centrale indienne a même donné son feu vert, en novembre 2022, à neuf banques indiennes pour ouvrir des comptes Vostro. Ces comptes bancaires, détenus par des établissements indiens pour le compte de banques étrangères, permettent de réaliser des échanges internationaux en roupies.

Aucun diamantaire indien n’a pour le moment eu recours à cette facilité. « Les Russes ne sont pas à l’aise à l’idée de facturer en roupies dans le secteur des pierres et des bijoux, notamment en raison du manque de liquidités », regrette Vipul Shah, qui souligne les risques liés à la volatilité du taux de change. Parmi les diamants russes qui arrivent en Inde, seuls 10 % sont encore importés directement. Les autres sont envoyés par l’intermédiaire des Emirats arabes unis ou de la Belgique, affirme le président du GJEPC.

Les grands noms indiens du diamant préfèrent éviter d’avoir directement recours aux importations russes. « Pour nos clients en Europe et aux Etats-Unis, il ne serait pas acceptable d’acheter des diamants russes, mais nous ne voulons pas froisser nos partenaires russes, car, lorsque cette guerre se terminera, nous voulons pouvoir nous réapprovisionner auprès de ces derniers », explique, non sans cynisme, un cadre d’un grand manufacturier de Surate, sous le couvert de l’anonymat.

La demande étant en baisse, il est aisé de se passer d’une partie de l’approvisionnement russe. Pour autant, son entreprise continue de se procurer des diamants russes en passant par de plus petits revendeurs et exporte les pierres taillées au Moyen-Orient ou en Chine, mais pas en Occident.

« Des diamants russes se retrouvent mélangés avec les autres »

Les Etats-Unis ont effectivement interdit l’importation de diamants russes sur leur territoire, alors que le pays représente le plus grand marché à l’export pour l’Inde. L’Union européenne et le G7 ne sont, pour leur part, pas encore parvenus à se mettre d’accord sur une interdiction d’importation des diamants russes, de peur que cela n’affecte la place d’Anvers, en Belgique.

« Les Etats-Unis refusent d’acheter des diamants russes, donc nous y exportons des joyaux du Canada, d’Afrique, mais, dans les lots de petites pierres, des diamants russes se retrouvent mélangés avec les autres, sans que cela soit volontaire », assure Nilesh Bodki. L’origine d’un diamant brut est, au départ, claire, grâce au système de certification Kimberley, créé pour mettre un terme aux « diamants de sang », qui financent des guerres. Mais, une fois taillé, il devient plus difficile de le traquer. Les petits diamants sont souvent mélangés dans des lots, et leur certificat d’origine se retrouve alors remplacé par un document les libellant comme provenant d’origine mixte.

La pénurie de petits diamants russes, qui a entraîné une hausse des prix, a néanmoins été en partie compensée par des pierres de laboratoire. Dans le budget 2023, le gouvernement indien a d’ailleurs proposé de réduire les taxes d’importation sur certains matériaux nécessaires à leur fabrication. L’Indian Institute of Technology de Madras, l’un des établissements universitaires d’élite du pays, s’est également vu accorder une bourse de recherche en la matière de plus de 27 millions d’euros.

Rien que dans la région de Surat, plus de 4 000 réacteurs nécessaires à la fabrication des diamants fonctionneraient déjà. Ces machines reproduisent le processus de création d’un diamant, en recréant les conditions présentes sous terre. Des pastilles de carbone sont introduites dans les réacteurs et soumises à des températures de 1 500 °C. « A l’œil nu, il est impossible de faire la différence entre un diamant synthétique et une pierre naturelle », souligne Smit Patel, héritier de la société familiale Greenlab Diamonds.

Après avoir travaillé un demi-siècle durant avec des pierres naturelles, cette entreprise s’est lancée dans les diamants de laboratoire à partir de 2019. Greenlab Diamonds affirme aujourd’hui être le plus gros cultivateur de diamants de synthèse au monde. La famille a d’ailleurs usé de son influence auprès de Narendra Modi, auquel tous les diamantaires de Surate semblent vouer un culte, pour le convaincre d’aider le secteur.

Une Bourse du diamant

Dans les locaux dernier cri de Greenlab, des artisans taillent et polissent toutes formes de diamants : des « diamants princesses », à 51 facettes, des diamants rectangulaires « émeraudes », à 57 côtés, ou des « diamants marquises », à 58 pans. « Un diamant est un caillou, c’est le savoir-faire des tailleurs qui révèle sa beauté », explique Smit Patel, qui se réjouit de l’acceptation grandissante du marché vis-à-vis des gemmes de synthèse.

L’Inde possède un immense avantage en la matière. « Avec le développement des diamants cultivés en laboratoire, nous cherchons une intégration en amont de l’industrie et, à terme, nous aurons tout ce dont nous avons besoin ici : car vous pouvez faire “pousser” des diamants partout, mais personne ne peut les polir comme les artisans indiens », se vante un employé du gouvernement, sous le couvert de l’anonymat, n’étant pas habilité à parler aux médias.

Les fabricants de diamants de synthèse produisent d’ailleurs plus qu’ils ne peuvent tailler. « Face aux pénuries liées à la guerre en Ukraine, les diamantaires traditionnels nous ont acheté nos bruts pour les polir. Les diamants de synthèse ont permis de soutenir l’industrie dans un moment difficile », conclut, enthousiaste, Smit Patel.

Et preuve que l’industrie a confiance en l’avenir : une Bourse du diamant ouvrira ses portes cette année à Surate. Les huit tours modernes, qui trônent dans la banlieue de Surate, au milieu d’un paysage désertique, font la fierté des acteurs du secteur. Avec quinze étages, 4 700 bureaux, 131 ascenseurs, des sols en marbre et des lustres en forme de diamants, il s’agit « du plus grand espace consacré aux affaires dans le monde », répètent à l’envi les diamantaires.

Cette place de marché du diamant entrera officiellement en fonction, après son inauguration par le premier ministre lui-même, affirme-t-on. Initialement, l’industrie rêvait d’une cérémonie réunissant Narendra Modi et Vladimir Poutine. Mais, après l’agression de l’Ukraine par la Russie, un tel événement serait mal venu.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/04/19/en-inde-l-industrie-du-diamant-mise-a-terre-par-la-guerre-en-ukraine-cherche-a-s-adapter_6170213_3234.html

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