Les gisements de gaz en Méditerranée orientale mettent en ébullition les pays de la région. La Turquie entend bien obtenir sa part du gâteau.
« C’est un cadeau de Dieu à notre peuple ! » En 1999, au moment de la découverte du gisement de gaz naturel de Noa, au large de Gaza, Yasser Arafat salue avec emphase l’événement. La manne gazière peut aider le peuple palestinien. Depuis, de nombreux autres gisements ont été découverts dans cette partie orientale de la Méditerranée, au large d’Israël, de la Grèce, de Chypre, de l’Égypte et de la Libye. Ils ont pour la plupart été baptisés de noms de la mythologie grecque et biblique : Leviathan (plus de 600 milliards de mètres cubes), Calypso, Aphrodite ou encore Tamar.
Le sous-sol est tellement riche que les observateurs appellent cette zone « la nouvelle Norvège », le pays scandinave ayant bâti sa richesse sur le gaz de la mer du Nord. Cité par Le Figaro, un consultant du cabinet Wodd Mackenzie estime que l’eldorado méditerranéen contient 1 900 milliards de mètres cubes de gaz, l’équivalent de 45 ans de consommation de cette énergie en France. Si la plupart de ces gisements ne sont toujours pas en production (Leviathan vient tout juste de cracher ses premiers mètres cubes de gaz, une dizaine d’années après sa découverte), la promesse d’autres découvertes attise la convoitise des pays de la région, au premier rang desquels la puissante Turquie.
Dix-huit bâtiments de guerre protègent un navire d’exploration
La semaine dernière, Ankara a envoyé le navire de recherche sismique Oruc Reis dans une zone comprise dans la zone économique exclusive de la Grèce ; une escorte de plusieurs navires de guerre l’accompagnait. Déjà, fin juillet, dix-huit bâtiments de guerre avaient protégé un navire d’exploration gazière turc au large des côtes grecques, provoquant la mise en alerte de la marine grecque. Dimanche, nouvelle provocation : la marine turque annonce que le navire de forage Yavuz étendra ses recherches au large de Chypre. L’UE s’inquiète, la France montre ses muscles en rappelant la présence sur zone de bâtiments, mais rien n’y fait : la Turquie entend bien mettre la main sur une part des ressources gazières. Elle le fait en dépit du droit international : Ankara ne reconnaît pas la convention de Montego Bay de 1982 qui délimite une zone exclusive économique de 200 milles marins, dans laquelle le pays limitrophe dispose de la liberté d’exploiter les ressources du sous-sol.
Ankara ne s’embarrasse pas de ces considérations. La richesse gazière est, pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, essentielle. D’abord, la Turquie importe 90 % du gaz qu’elle consomme, en provenance avant tout de la Russie. Elle cherche donc à desserrer cette dépendance énergétique en mettant la main sur des gisements situés, malheureusement pour elle, loin de ses eaux territoriales. Ankara vise en particulier ceux qui sont situés au large de la partie turque de Chypre, très prometteurs.
Autre intérêt : le gaz naturel est promis à un bel avenir. Ses réserves mondiales sont abondantes et son utilisation devrait croître dans les années à venir : les centrales à gaz sont utiles pour compléter un système énergétique fondé sur les énergies renouvelables, comme en Allemagne, car elles peuvent facilement compenser l’absence de vent ou de soleil, et produisent environ deux fois moins de CO2 que le charbon. L’Agence internationale de l’énergie a d’ailleurs assuré, dans un récent rapport, que le gaz naturel avait sa place pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015, avec une augmentation envisageable de 10 % d’ici à 2030.
Le veto d’Erdogan au gazoduc EastMed
L’exploitation des richesses gazières de la Méditerranée orientale ne va toutefois pas sans mal. Les gisements sont très profonds, ce qui nécessite d’importants investissements. Le développement du gisement Leviathan a, par exemple, englouti 3,6 milliards de dollars, selon le consortium formé notamment par le groupe américain Noble et la société locale Ratio. Il s’agit, aussi, de convoyer le gaz extrait des sous-sols vers l’Union européenne, principal débouché pour cette énergie. Dans ce but, Israël, Chypre et la Grèce ont lancé un projet de gazoduc sous-marin. Baptisé EastMed, ce tuyau géant, certes très coûteux (6 milliards d’euros), acheminerait le gaz vers l’Italie. Mais, là encore, Erdogan se met en travers de la route d’EastMed. Pas question pour lui de voir le filon lui échapper, d’autant que la Turquie est déjà une place forte du transport du gaz grâce aux nombreux gazoducs en provenance du Moyen-Orient qui traversent le pays. Le leader turc a prévenu : le projet n’aboutira pas sans son accord.
Et si les menaces ne suffisaient pas, Erdogan a assuré ses arrières. À la fin de l’année dernière, il a signé un accord de partage d’espace maritime avec la Libye. Ce texte offre à la Turquie l’accès à des zones convoitées par la Grèce et Chypre, il permet aussi de ralentir le projet EastMed, parce que les eaux de ces deux pays lui seront hostiles. Le conseil européen s’en est ému, rappelant que cet accord violait le droit de la mer (il n’y a aucune continuité maritime entre la Turquie et la Libye), mais le leader turc a laissé dire. Et tant pis, encore une fois, pour le droit international.