PORTRAIT. La « first daughter » a le don de s’immiscer dans les discussions des chefs d’État et reléguer au second plan le secrétaire d’État Mike Pompeo.
Surtout, elle a fait partie, avec son mari Jared Kushner, de la petite délégation qui s’est rendue dans la zone démilitarisée en Corée pour rencontrer Kim Jong-un. Elle a posé pour les photos, a parlé à la presse et semble même avoir assisté à la discussion entre les deux hommes alors que John Bolton, le conseiller à la Sécurité nationale, lui, n’y était pas. En sortant, elle a qualifié la rencontre de « surréaliste ».
« La belle et la bête »

L’omniprésence diplomatique de la fille préférée de Donald Trump témoigne des changements à la Maison-Blanche. Longtemps, Ivanka est restée dans l’ombre, en partie sous la pression de John Kelly, le secrétaire général, qui aurait tout fait pour limiter son influence. Mais il a été limogé et son successeur laisse à la famille toute latitude. D’où le rôle de plus en plus public de cette mère de trois enfants, qui a beaucoup œuvré à peaufiner son image. Lorsque Donald Trump s’est adressé aux troupes américaines à la base de Osan en Corée du Sud, Mike Pompeo, le ministre des Affaires étrangères, s’est avancé sur la scène pour le rejoindre. « Et vous savez qui est là aussi ? Avez-vous déjà entendu parler d’Ivanka ? » a lancé le président. « Elle va voler la vedette, » a-t-il ajouté alors qu’elle s’approchait tout sourire aux côtés de Pompeo. « Quel beau couple. La belle et la bête », a-t-il plaisanté. Plus tard, il dira aux journalistes : « J’ai trouvé qu’Ivanka était incroyable au G20, et je vais vous dire, les leaders étrangers l’adorent, ils pensent qu’elle est géniale. Elle est très intelligente et elle a fait du bon boulot. Elle a fait beaucoup de sacrifices. »Ce rôle de premier plan suscite nombre de critiques et d’accusations de népotisme. Personne ne savait qu’Ivanka, qui a travaillé sur des projets immobiliers dans le groupe familial et a lancé une marque de vêtements, s’y connaissait en tarifs douaniers ou dénucléarisation, ont persiflé les esprits chagrins. Conseillère officielle du président, elle n’a pas non plus de mandat précis au sein du gouvernement. Et elle et son mari n’ont obtenu leur security clearance, une autorisation au plus haut niveau qui permet d’avoir accès à des réunions et des sujets hautement confidentiels, que parce que Donald Trump l’a exigé. Le FBI et plusieurs membres de l’administration y étaient opposés, estimant que les liens de Jared avec la Russie pendant la campagne et ses conflits d’intérêts avec l’Arabie saoudite (sa famille a des projets d’immobiliers avec le royaume) l’empêchaient d’être accrédité.
Une « monarchie constitutionnelle » ?
Quant à Ivanka, elle a été impliquée dans deux projets immobiliers au Panama et en Azerbaïdjan sur lesquels planeraient, dit-on, des soupçons de corruption et de blanchiment. « Il semble aux yeux du monde que nous ayons une sorte de monarchie constitutionnelle. Cela pose de plus en plus de problèmes pour notre crédibilité… Cela indique à nos alliés, à tous ceux avec qui nous avons des contacts que les seuls individus qui comptent sont Trump et sa famille », a confié au Washington Post Christopher Hill, un ancien ambassadeur de l’administration Bush. L’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a tweeté après le G20 : « C’est peut-être choquant pour certains, mais être la fille de quelqu’un n’est pas vraiment une qualification professionnelle. »
Et il y a eu quelques couacs. Ivanka Trump a par exemple déclaré que l’Inde était « un allié critique ». Or les diplomates évitent cette terminologie. Et puis, il y a eu les 19 secondes d’une vidéo publiée sur le compte Instagram de l’Élysée où elle a l’air d’être snobée par un groupe de leaders. On la voit en train d’essayer d’intervenir dans une conversation entre Christine Lagarde, Teresa May et Emmanuel Macron au G20 au Japon. May est en train de parler et la fille de Trump fait un commentaire. Christine Lagarde, qui semble soudain découvrir son existence, la regarde avec un air pincé qui a été interprété comme « qu’est-ce qu’elle fait là celle-là ? » Le clip a fait l’objet de multiples parodies hilarantes sur #UnwantedIvanka où Ivanka surgit dans toutes sortes de moments historiques célèbres, du repas de la Cène à la conférence de Yalta. « C’est triste que les gens haineux aient choisi d’attaquer Ivanka Trump, une conseillère du président, quand elle fait la promotion des efforts américains pour donner du pouvoir aux femmes grâce à des partenariats stratégiques avec les leaders mondiaux », a rétorqué une des porte-parole de la Maison-Blanche.
Le rôle flou du couple Jared-Ivanka

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À son arrivée à Washington, beaucoup espéraient que cette femme d’affaires démocrate bon teint jouerait un rôle modérateur auprès de son père. Mais elle n’a pas plus réussi à le canaliser que les autres conseillers. Donald Trump a notamment décidé de sortir de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique contre son avis. Après cet échec, elle s’est focalisée sur des sujets qui lui tenaient à cœur comme la cause des femmes. Elle a fait plusieurs voyages en Inde, en Afrique et a lancé cet hiver une initiative destinée à aider économiquement 50 millions de femmes dans le monde d’ici à 2015. En coulisses, elle a aussi poussé à la réduction des impôts, à des mesures en matière d’éducation…En 2017, déjà, Ivanka Trump a fait parler d’elle en s’asseyant brièvement à la place de son père aux côtés des autres leaders lors d’une réunion du G20 en Allemagne. Son mari, lui, est sur tous les fronts avec un portefeuille toujours plus vaste. Outre son plan pour restaurer la paix au Moyen-Orient, il a visiblement le temps de s’occuper de la réforme des prisons, de l’immigration, de la modernisation technologique du secteur public, de l’accord commercial avec le Mexique… Dans une audition au Congrès, Rex Tillerson l’ex-ministre des Affaires étrangères a expliqué que le couple « Jivanka » avait compliqué sa tâche en menant un shadowdépartement d’État (cabinet de l’ombre) et en rencontrant sans l’en informer des dignitaires étrangers. « Un des défis je crois que tout le monde avait… c’était d’apprendre à gérer la situation unique avec le gendre et la fille du président membres de l’équipe de conseillers », a-t-il dit, avant d’ajouter. « Il n’y avait pas de définition claire du rôle, des responsabilités, de l’autorité (de Jared et Ivanka, NDLR)… ce qui était un défi pour tout le monde. » Dans un livre récent, Kushner, Inc. : Greed. Ambition. Corruption. The Extraordinary Story of Jared Kushner and Ivanka Trump, l’auteur Vicky Ward affirme que le sobriquet de Kushner est « Ministre de ». Et le bureau d’Ivanka est surnommé « HABI » pour « home of all bad ideas ».
« Dynastie »
Quelles sont les ambitions de la « première fille » (first daughter) ? Mystère. Un ex-conseiller économique du président, Gary Cohn, aurait dit à confié à Vicky Ward : « Ivanka pense qu’elle sera présidente des États-Unis. Le règne de son père sur Washington marque, croit-elle, le commencement d’une grande dynastie américaine. » Comme les Kennedy et les Bush ? Son daddy Donald Trump a confié à The Atlanticqu’il avait songé à la nommer ambassadrice aux Nations unies ou présidente de la Banque mondiale. « Elle est naturellement diplomate. Elle aurait été très bien aux Nations unies. » Selon lui, elle aurait été aussi parfaite à la Banque mondiale « car elle s’y connaît bien en chiffres ». Mais il ne l’a pas fait, car « on aurait dit que c’était du népotisme, alors que ca n’a rien à voir avec du népotisme ». Ah oui ?
De notre correspondante à Washington, Hélène Vissière