Un an après l’incendie de la cathédrale, Rémi Desalbres, le président de l’Association des architectes du patrimoine, tire la sonnette d’alarme
Le Point : On a l’impression que le chantier de Notre-Dame ne fait que s’embourber, et ce, bien avant la crise du Coronavirus : toujours pas de diagnostic et de calendrier précis… Pourquoi tant de lenteur ?
Vous faites allusion au problème du plomb, qui nécessite un protocole très poussé…
C’est l’exemple parfait de la paralysie administrative. L’inspection du travail applique les normes avec une rigidité excessive, qui impose parfois jusqu’à six douches par jour aux compagnons, à chaque fois qu’ils changent de zone de travail sur place. Vous imaginez ? Certains ont fini par jeter l’éponge et ont préféré partir travailler ailleurs ! C’est d’autant plus regrettable qu’un guide pratique sur l’organisation des chantiers patrimoniaux exposés au plomb avait été élaboré en 2018 à la demande du ministère de la Culture et des professionnels de la restauration. Les protocoles définis étaient contraignants, mais beaucoup moins lourds, avec notamment des prises de sang régulières pour surveiller la santé du personnel. Mais l’inspecteur du travail n’a pas jugé bon de le suivre…
L’architecte en chef des monuments historiques ne peut passer outre ?
Impossible, un inspecteur du travail a tout pouvoir et peut décider seul d’arrêter un chantier, avec des délais qui s’allongent et des coûts qui augmentent… Depuis une vingtaine d’années, nous subissons une extrême normalisation et l’application sans recul de textes réglementaires. C’est la conséquence du sacro-saint principe de précaution appliqué à l’excès, ou pire, d’une mauvaise connaissance des textes appliqués parfois à tort. Les chantiers sont de plus en plus soumis à un nombre croissant de normes et de réunions accaparées par des interlocuteurs de plus en plus nombreux. On se noie sous la paperasse et parfois l’incompétence. Les chefs de service n’ont plus le temps de se déplacer et délèguent leurs représentants, pas toujours formés ni expérimentés, ce qui n’arrange rien… L’ouverture quasi systématique du « parapluie » sur les chantiers est devenue une vraie plaie.
Revenons à Notre-Dame : le chantier bute aussi sur des problèmes concrets, comme le démantèlement de l’échafaudage, mis en place avant l’incendie.
Avait-on vraiment besoin d’édifier un tel échafaudage pour restaurer la flèche ? Quand on regarde l’histoire de la cathédrale, des échafaudages bien plus légers ont été mis en place autrefois, notamment au XIXe siècle pour construire la flèche, et en 1935 pour la restaurer. Et cela a très bien fonctionné. Résultat : on se retrouve aujourd’hui avec cette structure surdimensionnée de 500 tonnes qui fait peser une menace sur le monument… Cet échafaudage a non seulement été coûteux à mettre en place, mais il a failli terminer ce que l’incendie n’avait pas achevé ! Cela doit nous questionner.
Pensez-vous qu’on connaîtra vraiment un jour la cause de l’incendie ?
Il le faut, à la fois pour calmer les esprits et éviter demain de nouvelles catastrophes. Pour l’instant, les hypothèses concernant des mégots ou des problèmes électriques ne sont guère convaincantes. L’hypothèse du point chaud, à savoir l’utilisation d’un chalumeau suivie d’une combustion très lente par pyrolyse, est sans doute la plus vraisemblable. L’enquête mettra peut-être du temps, mais je reste confiant : l’incendie de Notre Dame est sans doute le plus documenté de toute l’histoire des monuments. La police a un matériel considérable à sa disposition, elle peut faire des reconstitutions, des essais pour comprendre le sinistre. On est simplement en droit d’attendre plus de transparence.
Plus de 90 millions ont déjà été engloutis… À titre de comparaison, la rénovation complète de l’imposante cathédrale de Tournai coûte 60 millions sur plus de vingt ans. Comment expliquer une telle dépense ?
Il y a eu des coûts d’urgence, notamment de consolidation, auxquels se sont greffées des investigations poussées, pour trier et analyser, scanner les décombres… Mais à cela s’ajoute un coût lié au principe de précaution appliqué à l’excès, qui dissipe beaucoup d’énergie, générant lenteur et frais supplémentaires. Il est certain que le métier s’interroge aujourd’hui sur des délais qui ne font que s’allonger. Pour stopper le dérapage et éviter le gaspillage, il est temps de disposer d’un diagnostic, d’arrêter un calendrier et un coût provisionnel de la restauration, et de faire jouer la concurrence entre les entreprises.
Comment sortir de cet enlisement ?
Il y a eu une réelle volonté du gouvernement d’accélérer les procédures avec sa loi spécifique encadrant la restauration du monument. Mais le projet a été beaucoup amendé, des possibilités de dérogation ont finalement été retirées… Le gouvernement a sans doute payé cher une mauvaise communication, qui a effrayé le métier, c’est dommage. Il est urgent aujourd’hui de remettre du bon sens et de l’intelligence collective dans les chantiers, d’apprendre à travailler ensemble efficacement. On pourrait mettre ainsi à profit cette pause imposée par le Covid-19 pour modifier des lois, assouplir des normes, qualifier des experts dans le domaine des monuments historiques…
Le délai des cinq ans pourra-t-il être tenu pour une réouverture ?
Très certainement. Il faut s’atteler à restaurer rapidement les voûtes, qui ont bien tenu, ce qui permettra une ouverture rapide pour le culte et la visite. Un immense parapluie fera office de toit en attendant la restitution de la toiture, qui peut intervenir dans un second temps, même une fois l’édifice ouvert aux Parisiens. Mais tout cela suppose une organisation fluide et de ne pas s’embourber à nouveau dans la paperasse…
Par Marc Fourny