Malgré le blocus saoudien auquel il est soumis, l’émirat va investir 15 milliards de dollars pour venir en aide à la Turquie en grave difficulté financière.
C’est un coup de pouce bienvenu dans un pays en pleine crise financière. En difficulté après l’effondrement de sa monnaie, qui a perdu près de 40 % de sa valeur depuis le début de l’année, la Turquievient d’enregistrer 15 milliards de dollars d’investissements de la part du Qatar, son grand allié régional. Une somme certes symbolique, comparée à ce dont Ankara a besoin pour relancer son économie, mais un signal politique fort alors que Doha traverse une grave crise diplomatique avec son allié américain.
Ces investissements « confirment que le Qatar continue à promouvoir la coopération économique entre les deux pays et que nous avons une confiance dans la force de l’économie turque », a réagi sur Twitter un porte-parole du gouvernement qatari.
Dans la foulée, la livre turque retrouvait des couleurs mercredi en fin d’après-midi, en reprenant 5 % face au billet vert. « Les bases de l’économie turque sont solides et la Turquie sortira renforcée de cet épisode », a assuré dans un tweet Ibrahim Kalin, porte-parole du président turc Recep Tayyip Erdogan. Et d’ajouter au sujet de son allié : « Les relations entre la Turquie et le Qatar sont basées sur des fondations solides d’amitié et de solidarité réelles. »
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« Guerre économique »
Déjà en peine, l’économie turque a été minée par la récente escalade diplomatique entre la Turquie et les États-Unis, pourtant tous deux membres de l’Otan. À l’origine, le refus d’Ankara de lever l’assignation à résidence d’Andrew Brunson, un pasteur américain accusé d’« espionnage » et de « terrorisme » pour le compte du réseau de Fethullah Gülen, prédicateur islamiste turc vivant aux États-Unis, et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre avec la Turquie. Mais derrière le cas de ce pasteur américain, il semble bien que Recep Tayyip Erdogan souhaite faire pression sur Washington pour extrader son « ennemi » Fethullah Gülen vers la Turquie.
Or, loin de se laisser intimider, le président américain Donald Trump a décidé d’imposer de rares sanctions contre les ministres turcs de l’Intérieur et de la Justice, et surtout de doubler les droits de douane sur l’acier et l’aluminium en provenance de Turquie, ce qui a fait plonger vendredi dernier la livre de 16 %. « Honte à vous, honte à vous. Vous échangez votre partenaire stratégique de l’Otan pour un prêtre », s’est alors insurgé le président turc, et d’ajouter : « S’ils ont le dollar, nous avons Allah. » Dénonçant une « guerre économique », Recep Tayyip Erdogan a répliqué en augmentant à son tour les tarifs douaniers de plusieurs produits américains, tels que les voitures ou le tabac.
Premier chef d’État étranger à rendre visite au président turc depuis la crise américano-turque, l’émir du Qatar, Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani a annoncé sur Twitter « soutenir (s)es frères en Turquie qui ont œuvré à la résolution des problèmes de la Oumma (nation musulmane) et du Qatar ». Par cette déclaration, l’émir qatari rappelait le rôle primordial de la Turquie, qui s’est tenue aux côtés de l’émirat gazier dès les premières heures de la crise qui l’oppose depuis un an à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Entraide
Depuis le 5 juin 2017, le Qatar est soumis à un embargo terrestre, maritime et aérien de la part de ses voisins du Golfe, qui lui reprochent son soutien à l’organisation des Frères musulmans, ainsi que sa proximité avec l’Iran chiite. Or, un an plus tard, le richissime émirat gazier tient toujours bon. Doha a réussi à limiter l’impact de la crise, grâce à ses avoirs colossaux et ses exportations de gaz naturel.
Surtout, le Qatar est parvenu à rompre son isolement en se rapprochant de la Turquie et de l’Iran, qui lui ont notamment garanti des importations de nourriture et ont de fait renforcé leur présence dans la pétromonarchie, Ankara ayant même ouvert une base militaire dans le pays. Dans un message diffusé sur Twitter, Lolwa Al Khater, porte-parole de la diplomatie qatarie, a mis en avant « les principes de l’Islam véritable » ainsi que les « valeurs arabes de générosité » pour expliquer l’aide du Qatar, « qui ne défie ni ne déçoit ses frères ».
Si la Turquie est aujourd’hui entre les mains d’un seul homme, le tout-puissant Recep Tayyip Erdogan, le parti islamo-conservateur dont il est issu – le Parti de la justice et du développement (AKP) – est proche de la mouvance des Frères musulmans, que Doha continue à soutenir dans le monde. Pourtant, cet appui s’explique davantage par le pragmatisme politique du Qatar, qui se sert des islamistes pour peser dans le monde, que par conviction religieuse (le pouvoir au Qatar est d’obédience wahhabite, une version ultrarigoriste de l’islam sunnite, alors que les Frères musulmans sont plus modérés, NDLR).
Pragmatisme
Mais l’émir Tamim Al-Thani n’est pas le seul chef d’État à savoir faire preuve de réalisme. Pour sortir de la crise économique dans laquelle il est empêtré, Recep Tayyip Erdogan n’a pas hésité à s’adresser à l’Europe, qu’il a pourtant malmenée ces derniers mois. Après s’être entretenu avec la chancelière allemande, Angela Merkel, mercredi, le maître d’Ankara a eu ce jeudi une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron, durant laquelle les deux chefs d’État ont convenu de « l’importance de renforcer » les liens économiques entre leurs deux pays, selon la présidence turque.