ENTRETIEN. L’ancien président du Conseil constitutionnel et figure du gaullisme regrette l’absence d’hommes d’État et dresse un bilan du quinquennat.
Aller voir Pierre Mazeaud, c’est ouvrir les premières pages de la Ve République. L’ancien député de Haute-Savoie a un CV long comme le bras, considère Michel Debré comme son père spirituel, raconte ses deux entrevues avec le général de Gaulle, ses engueulades homériques avec son copain Jacques Chirac, son travail au sein de la Commission des lois ou son attachement viscéral à la Constitution. Rentrer chez lui, c’est admirer les photos de ses exploits en alpinisme, mais aussi des documents historiques, comme une lettre griffonnée par le général de Gaulle indiquant ses futurs choix pour le gouvernement.
À 92 ans, Pierre Mazeaud ne vit pas dans le passé. Au sol, Le Monde ouvert sur un article consacré à la souveraineté ; Le Point – saine lecture – dédié au Général. Sur le bureau, un petit livre : La Constitution de la Ve République, dont il a surligné un article « très important ». Jusqu’au bout, l’ancien président du Conseil constitutionnel défendra la souveraineté française et portera un regard exigeant sur la politique française. Entretien avec un passionné.
Pierre Mazeaud : Il a saisi une occasion. Il a compris en 2017 que les partis politiques ne fonctionnaient plus. Il est intelligent, il a foncé et il a été élu. Être intelligent ne fait pas de vous un bon président. Il faut de l’expérience. Il n’avait jamais vécu une élection avant et n’avait pas de parti politique, il n’avait rien sauf quelques amis qui lui ont été fidèles, mais qui n’ont pas une très grande valeur politique. Son erreur a été de les garder. Quand tous les hommes de la France libre, même des héros !, voulaient entrer au gouvernement, de Gaulle leur a dit : « Il n’en est pas question. Soyez députés, on verra après. » Je n’attaque pas les hommes, mais il n’a personne. Il est seul. Parce qu’il est seul, il considère qu’il a raison. Il m’a emmené à Colombey-les-Deux-Églises. Dans l’hélicoptère, il me parlait beaucoup de la justice et des réformes qu’il voulait mettre en place. Je lui ai dit ce que je pensais – je suis un peu dur parfois : « Il ne faut pas faire ceci, il ne faut pas faire cela. » Emmanuel Macron m’a répondu : « Comment se fait-il que mes collaborateurs ne m’aient pas dit ça ? » Et là, j’ai compris : il est entouré d’énarques de valeur, mais qui ignorent tout de la politique et sont incapables de dire « non » à leur patron. De Gaulle avait des gens qui savaient lui parler. Michel Debré lui disait « non », ce qui n’empêchait pas la fidélité. Lorsqu’il a voulu mettre en place l’élection du président au suffrage universel, Michel Debré et moi nous nous y sommes opposés. On a dit « non ». Et quand le Général a maintenu sa décision, nous l’avons suivi, car la fidélité l’imposait. Mais de Gaulle avait pris une décision en écoutant des avis opposés. De plus, Emmanuel Macron est très éloigné de l’Assemblée et du Sénat.
Car il n’avait aucune compétence politique ! Ce n’est pas parce qu’il est passé chez Rothschild qu’il a appris la politique. Il ne l’a pas apprise à l’inspection des Finances. Il avait de bonnes intuitions. Il lui manque un mandat local. Alors oui, dans ses déplacements, il voit les Français, il serre des mains. Mais serrer des mains, ce n’est pas voir les gens. Le président est beaucoup trop important dans la démocratie française. Dans la Constitution, je le rappelle, il y a un article qui précise que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique du pays. Le candidat fait connaître ce qu’il veut faire ; le président donne les grandes orientations. On ne voyait pas le général de Gaulle aux côtés de son ministre de l’Industrie dans une usine pour demander ce dont ont besoin les ouvriers et le leur donner. Revenons à la Constitution. Il faut trouver des politiques sages et raisonnables, il n’y en a plus. Ses amis de LREM s’ennuient au Parlement. Certains me disent qu’ils sont là pour lever la main. Il n’y a plus de débat. Quand je vais à l’Assemblée, je vois que les députés ne se parlent pas, ils ne connaissent pas, ils ne se disent pas « bonjour ». Nous, c’était la marrade. On rigolait avec les communistes. Ce qui ne nous empêchait pas d’être ancrés sur nos grands principes. Il y avait une ambiance des plus sympathiques. Là, il y a de la haine au Parlement… Ça fausse tout débat et ça amène de la médiocrité en politique. L’exécutif a pris un poids considérable. C’était déjà le cas sous Nicolas Sarkozy qui avait réuni le Congrès pour faire passer le traité de Lisbonne qui avait été rejeté par les Français en 2005.
Oui, mais le Général a remporté le référendum par la suite… Relisez l’article de Georges Vedel, la forfaiture a été lavée.
Connaissez-vous personnellement le président de la République ?
Quel regard portez-vous sur la course à la désignation de LR ?
Je les connais bien. Valérie Pécresse, je l’aime bien, car je l’avais connue au Conseil d’État. C’est une très bonne juriste et c’est une bonne présidente de région. Elle est intelligente et elle a de l’expérience. Xavier Bertrand, c’est un homme qui connaît le terrain et qui a réussi dans les Hauts de France. C’est un travailleur et qui sait parler avec les gens. Il connaît la France. Je ne vois pas Michel Barnier, le Kennedy français, être élu. On dit qu’il a réussi le Brexit. Il a totalement échoué : les Anglais continuent leur politique millénaire. Il a un argument énorme : les Jeux olympiques d’Albertville. Mais c’est un peu loin… Je pense qu’aucun des candidats LR ne sera élu président de la République. Emmanuel Macron sera réélu d’extrême justesse avec une grande abstention. Mais il ne pourra rien faire, car il aura une Assemblée contraire. Il y aura une sorte d’alliance entre la gauche et la droite qui veulent la revanche et qu’ils ne voteront aucun texte.
Les sondages…
(Il nous coupe.) Ça, c’est un vrai problème. Il y en a trop. Et la presse ne parle que de ça. On en fait trop avec Éric Zemmour. La presse recommence la petite musique que les médias ont fait pour le père Le Pen et qui lui a permis de monter dans l’opinion. On l’attaque, mais on veut qu’il vienne nous voir. La presse est en train de faire l’image de M. Zemmour. Je m’excuse de le dire à un journaliste, mais je suis très remonté.
N’y a-t-il pas dans sa candidature un peu de politique à l’ancienne avec un grand « P », où l’on parle de la France et non de cotisations sociales ?
Oui et non. Il répond à une forme de populisme. Il n’est pas bête. Mais quand il parle du Général… Vous avez en face de vous un gaulliste et quand M. Zemmour vient expliquer que Pétain aurait sauvé des Juifs… Pétain, c’est quand même la rencontre de Montoire ! Quand il se prétend gaulliste, de Gaulle a envie dans sa tombe de lui filer une claque. Mais il va faire des voix. C’est peut-être lui qui peut se trouver face à Macron. Il sera sauvé par sa gestion du Covid, où il a fait preuve d’autorité face au comité scientifique.
L’Europe n’est pas une nation.
Aujourd’hui, tout le monde se revendique gaulliste…
Le général de Gaulle l’avait dit : « Ils parleront tous de moi. » Les Français sont comme ça : ils l’ont chassé en 1969, mais face à la situation actuelle, qui est désespérante et tragique, on revient à ces grandes périodes, ces grands hommes. Il a su dire non. Et puis l’appel du 18 Juin, c’est quand même une aventure ! Cela a de la gueule ! Vous savez, droite ou gauche, chacun choisit son de Gaulle.L’Europe doit-elle être au cœur de la campagne ?
Je n’ai jamais été très Européen, mais une fois que c’est décidé et qu’on est monté dans le train, il ne faut pas reculer. Depuis que l’Europe existe, il y a eu de nombreuses erreurs, notamment des élargissements trop importants sans prêter attention à la solidité des pays intégrés. Quand l’Europe s’est retrouvée face à de grandes difficultés, elle n’a pas su réagir. Elle a été divisée, notamment sur la question de Poutine. Il n’y a pas d’union : regardez, nous sommes pratiquement les seuls à gérer la crise au Sahel. L’Europe n’est rien. Elle a des divergences avec le Brexit et la Pologne. Sur ce dernier point, si je ne suis pas un fan du gouvernement polonais, composé de gens d’extrême droite, mais en l’espèce il a raison : la Constitution des nations l’emporte sur la loi européenne. L’Europe n’est pas une nation. Je vois qu’Emmanuel Macron est plutôt sur la tendance de von der Leyen : attention à ne pas diviser les Français ! Sauf que le président de la République est dans une contradiction : sur la querelle de la pêche, que fait-il avec les Britanniques ? Il exerce sa souveraineté.
La politique vous passionne encore !