Le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, organise samedi un « sommet pour la paix » à tonalité principalement euro-arabe. En multipliant les efforts diplomatiques, il entend s’imposer comme acteur incontournable dans la crise ouverte par la guerre entre le Hamas et Israël.
L’Egypte est déterminée à renouer avec son rôle de poids lourd de la diplomatie arabe. Dans un sommet à forte tonalité euro-arabe, rassemblant chefs d’Etat et ministres, le président Abdel Fattah Al-Sissi a pris la parole, samedi 21 octobre, en ouverture du « sommet pour la paix » organisé par Le Caire afin d’obtenir une désescalade dans la guerre à Gaza.
Une trentaine de représentants de pays et d’organisations internationales étaient réunis dans la « nouvelle capitale administrative » du Caire. Parmi eux, le roi Abdallah II de Jordanie, l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, le président des Emirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, la première ministre italienne, Giorgia Meloni, et le premier ministre canadien, Justin Trudeau. Les Etats-Unis étaient absents.
Ce sommet a été préparé en quelques jours. Depuis le début de l’offensive israélienne massive contre la bande de Gaza, qui a fait suite à l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre, Abdel Fattah Al-Sissi multiplie les condamnations d’une « punition collective » imposée aux habitants de l’enclave. L’ampleur des destructions y est inédite et déjà plus de 4 100 Palestiniens ont été tués, selon le Hamas. Vendredi, le président égyptien a réaffirmé la nécessité de mettre fin au conflit en cours. L’Egypte et la Jordanie, qui partagent les mêmes craintes d’une expulsion forcée des Palestiniens vers leur territoire et d’une extension régionale du conflit, ont tenu des réunions avant ce sommet.
La diplomatie égyptienne souhaite obtenir un vaste soutien pour un appel à une trêve. Cela s’annonce difficile. « Il est encore très tôt pour obtenir un consensus, entre des acteurs aux vues si divergentes, pour un appel au cessez-le-feu, note une source diplomatique étrangère en Egypte. Il y a un fossé entre les pays occidentaux, qui se sont rangés du côté du droit d’Israël à se défendre et dénoncent l’attaque du Hamas comme terroriste, et les pays arabes, qui considèrent que la violence ne commence pas le 7 octobre et qu’il faut rappeler le contexte d’occupation [israélienne des territoires palestiniens]. Chacun devrait exprimer son opinion au cours du sommet, auquel les principaux concernés – Israéliens et Palestiniens de Gaza – ne prendront pas part. » Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, maintenu sous perfusion par les Occidentaux mais décrédibilisé dans la rue palestinienne, participait au sommet.
Un premier convoi a franchi Rafah
Le flou demeure sur la forme que la déclaration finale pourra prendre : émanera-t-elle des organisateurs ou de tous les participants ? La référence à une nécessaire désescalade et à l’urgence d’une aide humanitaire pour Gaza, sous siège, devrait y figurer.
Au cœur des sollicitations diplomatiques depuis le début de la guerre à Gaza, l’Egypte retrouve un rôle dont elle redoutait d’être privée. La normalisation des relations, en 2020, entre Israël et les Emirats arabes unis, Bahreïn, puis le Maroc, semblait diminuer l’importance du statut du Caire, première capitale arabe à avoir signé la paix avec l’Etat hébreu, en 1979. « Avec ce sommet, l’Egypte a réussi à créer un espace pour appeler à la fin de la violence. Elle reste le médiateur dans tout conflit à Gaza », note la source diplomatique.
A la veille du sommet, auquel il ne participera pas – la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, y représentera la France –, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé vendredi soir que Paris va envoyer une « aide humanitaire d’urgence » pour Gaza dans « les plus brefs délais ». La France veut « pouvoir accompagner les efforts qui sont faits par l’Egypte, soutenus par les Etats-Unis, grâce à l’ouverture de Rafah ».
L’aide internationale s’amasse déjà dans la région du Sinaï égyptien frontalière de la bande de Gaza, et la priorité est surtout de la faire entrer dans le territoire assiégé. Après de multiples annonces américaines depuis une semaine sur une assistance imminente, un convoi a enfin commencé à passer le poste-frontière de Rafah, samedi matin. Rien ne s’était matérialisé jusqu’alors, pas même lors de la visite sur place, vendredi, du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui compte parmi les participants du sommet du Caire.
« Des opérations chirurgicales à la lumière de téléphones »
La confusion régnait vendredi. Selon plusieurs sources, un accord – négocié par les Etats-Unis, l’Egypte et Israël, avec l’ONU – n’était alors toujours pas conclu. Le contenu des convois qui pourrait être autorisé est très lacunaire, par rapport à la catastrophe humaine en cours. « Le carburant nécessaire pour faire fonctionner les hôpitaux encore opérationnels, en l’absence d’électricité, ne fait pas partie de l’accord discuté, pas plus que le chlore pour purifier l’eau alors que les habitants de Gaza ont un besoin urgent d’avoir accès à de l’eau potable », déplorait vendredi une source humanitaire sous le couvert de l’anonymat. « Des médecins à Gaza font aujourd’hui des opérations chirurgicales à la lumière de téléphones », rapporte Benoît Carpentier, porte-parole de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR).
Aucune garantie n’a été donnée sur la durabilité de l’entrée de convois. L’armée israélienne a bombardé à quatre reprises les abords de Rafah depuis le 7 octobre. L’ONU a démontré son impuissance éclatante au poste-frontière, vendredi. Elle s’est en outre gardée de désigner un coupable dans le blocage dramatique de l’aide, qui étrangle davantage les Palestiniens de Gaza. L’Egypte – ainsi que la Jordanie – a accusé Israël d’entraver cette assistance cruciale. Dans un pays où les rassemblements sont interdits, des manifestants ont été autorisés à protester aux portes de Gaza. Une colère populaire, pour mieux incarner l’exaspération croissante du Caire.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les grandes manifestations qui ont eu lieu vendredi dans plusieurs villes d’Egypte. A rebours de la ligne sécuritaire passée, qui faisait la chasse à toute expression de soutien public dans la rue à la cause palestinienne, chère à la population égyptienne, les autorités ouvrent désormais les vannes tout en les contrôlant.
Dans un Parlement réuni en urgence, mercredi, des députés, dont certains portaient le keffieh, ont donné « mandat » à Abdel Fattah Al-Sissi pour prendre toute mesure visant à soutenir la cause palestinienne et à protéger la sécurité nationale – une référence au scénario refusé d’une relocalisation forcée des habitants de Gaza dans le Sinaï. « Un déplacement dans le Sinaï signifie déplacer les attaques contre Israël sur les territoires égyptiens, ce qui menace la paix entre Israël et un pays de 105 millions d’habitants [l’Egypte] », a mis en garde M. Al-Sissi. Se posant en protecteur de son pays, le président égyptien met aussi en scène un bras de fer avec les pays alliés d’Israël comme les Etats-Unis, qui voulaient de l’Egypte une position conciliante avec leurs propres vues sur Gaza.
Slogans détournés
Répondant à son appel à manifester, des dizaines de milliers de personnes ont afflué vendredi, à l’issue de la grande prière, vers des points de rassemblement qui avaient été fixés dans chaque gouvernorat. Dans l’est du Caire, des bus venus de toute la capitale ont convoyé des manifestants vers le quartier Medinat Nasr. Devant la tombe du soldat inconnu, monument pyramidal dressé en mémoire des soldats égyptiens morts pendant la guerre d’octobre 1973 contre Israël et lieu emblématique des défilés militaires, une foule immense scandait des slogans hostiles à Israël et ses alliés occidentaux, notamment les Etats-Unis, accusés de fournir « les armes qui massacrent les civils à Gaza », ou encore le Royaume-Uni et la France.
Alors que le président Sissi brigue un troisième mandat lors du scrutin de décembre, sans grande surprise, les manifestations à l’appel du pouvoir ont pris l’allure de plébiscite en faveur du raïs égyptien. Partout, au milieu des drapeaux palestiniens, la foule brandissait des portraits à l’effigie du président.
« Nous soutenons la position du chef de l’Etat. Nous refusons une seconde Nakba. Sissi va garantir qu’il n’y aura pas de déplacement des Palestiniens vers le Sinaï », clamait un des manifestants. Ailleurs, des groupes de jeunes demandaient l’intervention de « l’armée arabe » contre « l’Etat sioniste », avant d’entonner en rythme « A bas Israël ! ».
A quelques kilomètres de la manifestation officielle, une scène inattendue s’est déroulée au cœur du Caire. Des centaines de manifestants ont pris la direction de la place Tahrir, après la prière à la mosquée Al-Azhar. Forçant les cordons de policiers, ils ont pris position pendant près d’une heure au pied de l’obélisque de cette place emblématique de la révolution de 2011, dont des slogans ont été détournés : « Pain, liberté, Palestine arabe » et « Le peuple veut la chute d’Israël. » Des « Dégage ! », adressés au président égyptien, ont aussi fusé dans la foule, où se trouvaient des opposants. Des renforts policiers ont expulsé les manifestants vers les rues adjacentes. Selon l’avocat Khaled Ali, plus de quarante personnes ont été arrêtées dans la foulée.