Dans une décision unanime publiée ce mardi, la Cour suprême estime que « cette décision empêche le Parlement de faire son travail ».
Les 11 juges de la Cour suprême britannique ont décidé à l’unanimité mardi que l’avis de Boris Johnson demandant à la reine de suspendre le Parlement pendant cinq semaines jusqu’au 14 octobre, à deux semaines du Brexit, était « illégal, nul et sans effet » et a ordonné qu’il siège à nouveau « dès que possible ».
Malgré ce grave revers, le chef du gouvernement, actuellement aux États-Unis pour assister à l’assemblée générale de l’ONU, a réitéré son refus de démissionner malgré l’arrêt indiquant que sa demande auprès du souverain de proroger les deux chambres était contraire à la Constitution non écrite.
Le Premier ministre, Boris Johnson, s’est engagé à respecter l’arrêt de la plus haute instance judiciaire du pays. La décision de rappeler le Parlement suspendu depuis le 28 août sera prise par les présidents des deux chambres. Mais Johnson pourrait décider de défier le verdict des juges en optant en toute légalité pour une deuxième suspension en vue de limiter la discussion sur le Brexit. Quoi qu’il arrive, le discours du Trône écrit par le Premier ministre mais présenté la Reine devant les deux chambres réunies doit avoir lieu le 13 octobre. La sortie de l’Union européenne est prévue le 31 octobre.
– Quelle conséquence pour la Reine Elizabeth II ?
Aucune. Plus que jamais, la Reine entend être au-dessus de la melée partisane à propos du Brexit en s’en tenant à la lettre à ses pouvoirs définis au XIXème siècle par le constitutionnaliste Walter Bagehot, « formuler des avertissements, donner des encouragements et des conseils » et ajoutant qu’ « un souverain sensé et sage n’en considère aucun autre. C’est pourquoi la Reine n’avait pas d’autre choix que de contresigner la prorogation du Parlement demandée par son Premier ministre. La prudence est d’autant de règle que les révélations dans les mémoires de l’ex Premier ministre David Cameron sur la teneur de ses entretiens avec la Reine Elizabeth II a exposé le souverain au soupçon de partialité politique, à propos du référendum sur l’indépendance écossaise.
– Boris Johnson est-il sérieux quand il affirme vouloir un accord avec l’Union européenne pour éviter un « no deal » ?
Pour Charles Grant, directeur du think tank Centre for European Reform, personne ne connaît les intentions réelles du Premier ministre. Reste que ses interventions musclées et les commentaires de son entourage indiquent que sa voie préférée reste une sortie au 31 octobre « quoi qu’il arrive ». Mais sa situation politique précaire (absence de majorité, rébellion d’une vingtaine de députés conservateurs et vote par le Parlement d’une résolution interdisant une sortie abrupte) pourrait l’inciter à trouver un compromis de dernière minute avec Bruxelles.
– Vu de Londres, quel est le principal obstacle à trouver un accord ?
La fatidique question du backstop, la politique d’assurance visant à maintenir l’absence de frontière entre les deux Irlande après le Brexit. Le seul compromis possible serait de sortir l’Ulster du Royaume-Uni en maintenant temporairement les six comtés du Nord dans l’union douanière et une partie du marché unique. Le Royaume-Uni hors Irlande du Nord pourrait alors signer des accords de libre-échange avec d’autres partenaires commerciaux que l’Union européenne ».
Un problème adjacent à régler est celui du contrôle des marchandises par voie maritime entre la République d’Irlande et la Grande-Bretagne. Reste que le fossé entre ce qui est acceptable par son parti et par l’Union européenne demeure conséquent.
– Quelle sorte d’accord commercial de libre-échange Boris Johnson envisage-t-il de conclure avec Bruxelles ?
En bon libéral, le Premier ministre s’est prononcé en faveur d’un accord à la canadienne ne couvrant que les biens industriels et pas les services. Aux yeux de l’ancien maire de Londres, la City doit être préservée des réglementations communautaires pour se forger un destin off shore « à la Singapour » combinant impôt faible et réglementation minimale. L’essentiel de la réglementation financière est toutefois décidée dans des enceintes hors UE, comme l’OCDE ou le comité de Bâle des présidents de banques centrales.
– Quels sont les obstacles à un accord ?
Tout d’abord la désorganisation de l’administration Johnson et de la haute fonction publique. Ensuite la division du pays en deux camps irréconciliables, les pro et anti Brexit. Enfin, l’appoint des suffrages travaillistes est exclu en raison de la politique ambiguë de son leader, Jeremy Corbyn qui refuse à soutenir le camp du « Remain » lors des prochaines élections contre la volonté de la majorité de ses militants. La guerre civile régnant dans les rangs du parti travailliste, désormais en troisième position derrière les Tories et les libéraux-démocrates (centristes) dans les sondages, pénalise toute entente potentielle avec l’opposition officielle. « Le juste milieu suivi par le Labour est une grave erreur dans la mesure où le public épuisé par trois ans de psychodrame ope pour de opitons claires, sortir au rester du Royaume-Uni », explique le politologie John Curtice de l’université de Strathclyde.
– Comment Johnson peut-il faire voter par le Parlement un éventuel accord avec Bruxelles ?
Paradoxalement, l’arithmétique parlementaire lui est théoriquement favorable. Il devrait être en position de surmonter l’opposition de la coalition du Labour, des libéraux-démocrates et des indépendantistes écossais en mobilisant son camp, les unionistes protestants, les rebelles conservateurs ainsi que les dissidents travaillistes favorables au départ. Le « deal » entériné, il pourra se présenter devant l’électorat comme le sauveur de la nation et obtenir une large majorité lors d’élections anticipées.
De notre correspondant à Londres, Marc Roche