Le président de la République se rend ce jeudi dans sa ville natale pour une visite officielle de deux jours. Un séjour à la fois politique et affectif.
Que pense Emmanuel Macron quand il songe à Amiens ? Quels souvenirs, quelles images, quels chagrins, quelles colères surgissent dans sa mémoire ? Aime-t-il cette ville dans laquelle il est né et a vécu jusqu’à sa classe de terminale suivie du lycée Henri-IV à Paris ? « C’est là où je suis né, où j’ai grandi, où ma grand-mère vivait il y a trois ans encore, où mon père vit toujours. Oui, c’est l’un de mes points fixes », confiait-il, en 2016, au Courrier picard. L’un de ses points fixes, donc.
Emmanuel Macron est né dans le quartier Henriville, cet arrondissement prisé par la bourgeoisie moyenne, car proche du centre-ville. La brique rouge des pavillons ouvriers s’y efface souvent pour laisser place à la pierre des maisons larges. L’enfance du premier enfant de Jean-Michel et Françoise Macron se déroule entre quelques rues, alors peu passantes. Sa mère le conduit le mercredi au cours de tennis ou aux entraînements de foot ; en fin de journée, c’est l’heure de la leçon de piano au conservatoire municipal. Au bout du jardin familial, l’école primaire Delpech et, quelques centaines de mètres plus loin, la résidence du même nom, là où Manette, Germaine Noguès, cette grand-mère maternelle adorée, vécut jusqu’à sa mort en 2013. Dans son appartement, Emmanuel Macron passe déjeuner tous les jours, ses parents travaillant tous les deux comme médecins. Quand, en sixième, il est inscrit au lycée jésuite de La Providence – une exigence de Manette qui veut pour ce petit-fils doué un enseignement stimulant et l’impose à sa fille et à son gendre, appréciant, eux, modérément l’école privée –, le collégien continuera d’y venir goûter d’un chocolat chaud, faisant ses devoirs sous la tutelle de l’ancienne directrice d’école. C’est chez Manette, toujours, que le lycéen, amoureux fou de son enseignante du club théâtre, Brigitte Auzière, trouvera le rare – le seul ? – soutien prêt à abriter leurs rendez-vous secrets. Amiens, et l’amour, l’amour interdit.
Conscience civique
Quand, à seize ans, l’élève s’éprend de sa professeure de théâtre, mariée et mère de trois enfants, Amiens perd la douceur fade d’une géographie enfantine sans histoire. La ville picarde jase, elle observe, s’indigne, passe quelques appels téléphoniques anonymes, écrit des courriers sans signature. L’aimée, Brigitte Auzière, est la sixième enfant d’une famille renommée, les commerçants Trogneux, cinq générations de confiseurs établis. Emmanuel Macron et Brigitte Auzière sont aperçus se promenant le long des canaux, on croit les avoir vus bavarder déambulant entre les hortillonnages, ces jardins suspendus dans l’eau. Le couple scandaleux se cache. Les briques rouges se sont assombries. La suite de l’histoire est connue, le lycéen est installé à Paris, inscrit en classe préparatoire, et seule Brigitte endure les commérages locaux, les regards appuyés et confus de ceux qui la croisent sur le quai de la gare TER le dimanche soir. Elle descend du train de Paris.
Quand Emmanuel Macron choisit, en avril 2016, de lancer son mouvement politique, « pas à droite, pas à gauche », on lui recommande Le Creusot. Il balaye. « Je voulais le faire à Amiens. Ce n’est pas quelque chose d’innocent. Je suis né ici. J’y ai encore une partie de ma famille. J’y ai des attaches fortes. Et c’est là que je suis arrivé à la conscience civique », explique-t-il depuis la tribune du parc des expositions. Trois ans plus tard, le président de la République choisit de passer 48 heures dans la cité picarde où il fut élevé, aimé, épié et tellement critiqué. Deux jours où il inaugure, entouré de sept ministres, le pôle universitaire, puis assiste à un spectacle à la cathédrale, visite une maison France Services, présente le financement du canal Seine-Nord, inspecte le dispositif du service national universel, prononce un discours à destination de la jeunesse (Amiens sera en 2020 capitale de la jeunesse européenne) et rencontre une délégation d’anciens salariés de Whirlpool. Deux jours présidentiels, pleins à craquer, sans l’ombre d’un espace pour laisser ses souvenirs divaguer. Son père, Jean-Michel Macron, divorcé aujourd’hui, vit toujours dans la maison familiale.
Par Émilie Lanez