Présent à Pessac (Gironde), samedi 22 novembre, à l’occasion de la 35e édition du Festival international du film d’histoire, l’ancien président de la République François Hollande s’alarme, auprès du Monde, du « plan de paix » de Donald Trump pour l’Ukraine, dévoilé la veille, estimant qu’il acte la rupture entre les Etats-Unis et l’Europe et qu’il place le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans un « dilemme effroyable ».
Quelle lecture faites-vous du « plan de paix » du président américain ?
Nous vivons un moment à la fois historique et dramatique. Historique car ce plan ne consacre pas seulement la capitulation de l’Ukraine mais la relégation de l’Europe sous la tutelle d’un condominium russo-américain. Dramatique parce que, pour l’Ukraine, il acte l’abandon définitif du tiers de son territoire et l’absence de garanties de sécurité la protégeant d’autres agressions de la Russie. Dramatique, enfin, parce ce que ce plan n’est rien d’autre que la reprise, par Donald Trump, des exigences de Poutine, et qu’il réduit l’Europe au rang de spectatrice assiégée.
Trump croit-il vraiment qu’il est possible de mettre fin au conflit ?
Il l’imagine certainement, mais c’est ne rien comprendre aux leçons de l’histoire. S’il prive l’armée ukrainienne de ses capacités, s’il ne garantit pas la sécurité de Kiev, Poutine prendra son temps pour avaler l’Ukraine tout entière. A la différence de tout dirigeant d’un pays démocratique, il pense avoir l’éternité pour lui. Le temps fait partie de sa stratégie. Pour lui, il n’y a jamais de règlement définitif. Tout conflit est gelé en attendant la prochaine aventure.
Que peut faire Volodymyr Zelensky ?
Zelensky est dans un dilemme effroyable. Soit il accepte le plan, et son peuple le considérera comme le président qui, après de si lourdes pertes, a capitulé. Soit il ne cède pas et, dans ce cas, Poutine se sentira libre de continuer la guerre et Trump arrêtera de soutenir l’armée ukrainienne et de lui fournir les renseignements indispensables.
Si Zelensky signe, il est condamné ; s’il ne signe pas, il peut être écrasé. Le plan Trump prévoit déjà de l’éliminer car il prévoit des élections dans les cent jours. Poutine aura alors atteint ses objectifs initiaux. La seule alternative à ce scénario, c’est que les Européens prennent leurs responsabilités.
C’est-à-dire ?
Ce plan n’est pas seulement un règlement inacceptable de la question ukrainienne, c’est aussi un texte qui s’adresse à nous. Jusque-là, Trump avait rencontré Poutine à plusieurs reprises sans associer les Européens, mais ça n’avait pas eu de suites. Aujourd’hui, il n’abandonne pas seulement Zelensky, il s’affranchit de tout : il ne vient plus au G20 ; il est absent de l’accord sur le climat ; il est prêt à accueillir Poutine au G8, à le libérer de toutes sanctions et à l’absoudre des atrocités commises par son armée en Ukraine.
Trump va même jusqu’à établir une distinction entre l’OTAN des Etats-Unis, comme si l’Amérique en avait terminé avec l’Alliance atlantique et que cette organisation née en 1949 n’était plus que l’affaire des Européens, sans les Américains. Ce plan acte une rupture totale avec l’Europe et avec l’ordre qui prévaut depuis soixante-quinze ans.
Que doivent faire les Européens ?
Corriger le plan s’il est encore amendable. Dire qu’ils vont livrer autant d’armes que possible. Nous avons été trop prudents dans les livraisons. Nous avons vécu dans l’idée que Poutine allait agiter l’arme nucléaire si nous livrons des missiles ou des batteries. Les Européens ont eu peur et ils ont laissé les Ukrainiens tous seuls face à l’agression. Poutine ne comprend que les rapports de force : autant faut-il les exercer face à lui. Quand, en 2014, je lui ai annoncé que je ne lui livrerais pas les porte-hélicoptères Mistral, il n’a pas dit : « Vous me le paierez. » Il m’a dit : « Vous me rembourserez. »
Enfin, les Européens doivent demander à Donald Trump une clarification de la relation transatlantique, afin de savoir s’ils sont encore un allié fiable et même tout simplement notre allié.
Quitte à acter une rupture ?
La rupture est déjà là ! Pour Trump, notre continent est fini, il n’est plus dans le jeu. Comme il l’avait dit à Zelensky dans le bureau Ovale, en février, il ne dispose plus des cartes. Nous n’avons ni pétrole ni gaz, nous n’avons plus de grandes industries, nous ne dominons pas l’Internet, et si nous réalisons encore des excédents commerciaux, c’est au détriment des Etats-Unis, d’où l’offensive de Trump sur les droits de douane. Face à lui, nous sommes pusillanimes. Pire : nous tolérons ses extravagances et nous ne revendiquons pas suffisamment les valeurs que nous portons. Bref, à ses yeux, nous sommes des joueurs de seconde division par rapport aux empires et aux puissances d’argent.
Ce qui est très inquiétant, c’est que l’Europe n’a pas d’incarnation politique : le président français, Emmanuel Macron, est en fin de parcours ; le chancelier allemand, Friedrich Merz, est à la tête d’une coalition fragile avec une extrême droite très forte ; le premier ministre britannique, Keir Starmer, est très contesté ; quant à la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, Trump en a fait son alliée la plus proche.
La situation politique de la France met-elle l’Europe en danger ?
Oui, dans ce contexte, la fragilité de la France est un élément d’insécurité supplémentaire pour l’Europe. Si la France veut participer au réarmement, il faut qu’elle ait un budget de la défense voté dans le cadre de la loi de finances. Si, demain, c’est la loi spéciale qui s’impose faute de compromis, ce sont les dépenses de l’année précédente qui vaudront, et les 6 milliards d’euros prévus pour améliorer notre capacité de défense ne seront pas là.
Tout se tient : l’état de notre démocratie, c’est la force de notre défense et la crédibilité de notre sécurité. C’est la raison pour laquelle Trump et Poutine poussent les extrêmes droites en Europe pour nous affaiblir et nous neutraliser.
Quel message voudriez-vous adresser à Zelensky ?
Lui dire qu’il n’est plus seulement un président ukrainien, abandonné par celui qu’il croyait être son protecteur, les Etats-Unis. Il est devenu le premier défenseur du continent européen. A ce titre, notre obligation est de le soutenir. S’il tombe, c’est notre sécurité qui est entamée. Et, un jour ou l’autre, c’est nous aussi qui chuterons.
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