Alors que l’une des principales compétences européennes est celle du commerce, l’UE a refusé d’entrer dans un conflit commercial avec Donald Trump, au risque de fragiliser sa crédibilité sur le long terme. La voix de la France a été inaudible.
Sur la forme, l’humiliation pouvait difficilement être plus évidente. Convoquant Ursula von der Leyen dans son luxueux golf de Turnberry, en Ecosse, et profitant au passage pour en faire la promotion devant les caméras du monde entier (« le meilleur parcours du monde »), Donald Trump n’a pas cherché à arrondir les angles pour son « deal » commercial avec l’Union européenne (UE), dimanche 27 juillet. Pendant la conférence de presse qui a étrangement précédé les négociations, plutôt que de les suivre, la présidente de la Commission européenne était visiblement tendue, assise bien droite, les mains sur les genoux, écoutant patiemment le président américain. Pendant une vingtaine de minutes, les journalistes ne lui ont presque pas adressé la parole, pendant que Donald Trump monopolisait l’attention.
Offrir une victoire de forme au président américain aurait pu être une bonne idée si l’accord commercial était équilibré sur le fond. La vérité est pourtant qu’il s’agit du « plus beau et du plus grand racket de l’histoire », résume l’économiste Véronique Riches-Flores. L’UE a accepté que ses exportations aux Etats-Unis soient taxées à 15 %. Avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier, elles l’étaient à 1,2 % en moyenne, en pondérant le calcul suivant le poids économique de chaque secteur. Et en échange ? Rien. L’UE évite toute réplique. Un tel accord unilatéral aurait fait hurler les négociateurs il y a quelques mois.
Il faut rappeler la chronologie pour mesurer l’ampleur du recul de l’UE. Initialement, les Européens parlaient de renforcer leur défense afin d’éviter une guerre commerciale avec les Etats-Unis. Tous ont augmenté leurs dépenses militaires, mais Donald Trump a quand même déclenché l’offensive douanière. Après le « jour de la libération » du 2 avril, les négociateurs européens rêvaient encore de trouver un compromis sans aucun droit de douane entre les deux zones, d’égal à égal.
Quand le Royaume-Uni a annoncé, le 8 mai, un accord avec les Etats-Unis entérinant 10 % de droits de douane, ils se sont gaussés : pas question d’accepter une telle reculade unilatérale, promettaient-ils. Ils ont finalement dû ravaler leur fierté. Début juillet, ils étaient prêts à accepter 10 %… jusqu’à ce que Donald Trump rejette les négociations menées par ses propres équipes, et qu’il menace finalement l’UE de 30 % de droits de douane. Deux semaines plus tard, les Européens ont finalement accepté 15 %.
« Un compromis inadéquat »
Qui se réjouit de cet accord ? A peine Mme von der Leyen, qui estime qu’il s’agissait « de ce que l’on pouvait obtenir de mieux ». Pas le gouvernement français : François Bayrou fustige un « jour sombre » et une « soumission » de l’UE. Pas vraiment l’Allemagne : Friedrich Merz, le chancelier, se dit certes soulagé d’avoir évité une « escalade inutile », mais « aurait vraiment voulu obtenir plus d’allégements pour le commerce transatlantique ». L’anti-européen Viktor Orban, premier ministre de la Hongrie, a beau jeu de caricaturer la présidente de la Commission européenne : « Donald Trump a mangé Ursula von der Leyen au petit déjeuner. Le président américain est un négociateur poids lourd, la présidente est un poids plume. »
La complainte se retrouve aussi au niveau des entreprises. L’accord aura « des répercussions désastreuses pour des milliers de petites et moyennes entreprises [PME] », selon la Confédération des petites et moyennes entreprises. Le patronat allemand se désole : « L’accord est un compromis inadéquat et envoie un signal désastreux », estime Wolfgang Niedermark, un membre du conseil d’administration de la Fédération de l’industrie allemande (BDI), la principale organisation patronale. Si même l’industrie allemande, première exportatrice vers les Etats-Unis, ne se félicite pas, à qui profite le crime ?
Les deux seuls arguments en faveur de l’accord sont ceux de la prudence. D’abord, les entreprises évitent le pire – le risque de 30 % de droits de douane dès le 1er août – et obtiennent ainsi une certaine visibilité. Elles savent quels droits de douane vont s’appliquer, en principe pour plusieurs années. Mais ce serait faire grand crédit à Donald Trump, qui n’en est pas à un retournement près, d’autant qu’aucun texte n’est pour l’instant signé – les Etats-Unis ont publié un vague premier document résumant l’accord, l’UE aucun.
Ensuite, une guerre commerciale complète a été évitée. « L’absence de réplique [européenne] peut être considérée comme un signe de faiblesse, mais, d’un point de vue macroéconomique, c’est peut-être la meilleure réponse », souligne Gilles Moëc, économiste en chef du groupe Axa. De son point de vue, l’escalade aurait coûté bien plus cher : si l’UE avait imposé des droits de douane aux importations américaines ou des taxes sur les géants du numérique (Meta, Google, Apple…), les répercussions négatives sur l’économie européenne auraient été sévères.
C’est exact. Les droits de douane coûtent d’abord de l’argent au pays qui les impose, et l’UE n’est pas obligée de commettre les mêmes erreurs que Donald Trump. D’ailleurs, la croissance américaine a déjà fortement ralenti. Selon les calculs de Gilles Moëc, l’accord annoncé dimanche, dont les détails ne sont pas encore négociés, devrait coûter 0,5 point de produit intérieur brut à l’UE et 0,7 point aux Etats-Unis.
« L’Europe aurait pu être forte »
Mais ces calculs sont de court terme. A moyen terme, l’UE n’a-t-elle pas perdu toute crédibilité dans ses futures négociations en capitulant face à M. Trump ? « La Chine pourra facilement dire : moi, je veux la même chose », soupire Thierry Mayer, professeur d’économie à Sciences Po et conseiller scientifique pour le Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Pire encore, les Britanniques, qui sont sortis de l’UE, obtiennent un meilleur accord que les Européens : « Le Brexit a donc mené à un meilleur résultat, c’est incompréhensible », poursuit-il.
Tout cela est d’autant plus dommageable que l’UE est avant tout une puissance commerciale. Géopolitiquement, elle agit en ordre dispersé. Militairement, elle possède 27 armées. En revanche, les affaires commerciales sont du domaine réservé des autorités européennes. L’union douanière – les barrières douanières sont les mêmes pour les Vingt-Sept – garantit la solidité du marché unique européen, un mastodonte de 450 millions de consommateurs.
« L’Europe aurait potentiellement pu être forte, soit seule, soit en coalition avec d’autres, estime, sur X, Olivier Blanchard, l’ancien chef économiste du Fonds monétaire international. Elle devait pour cela être prête à faire face à la tempête. Elle aurait obtenu un meilleur accord à la fin et envoyé un message fort au reste du monde. [C’est] une occasion manquée. »
Il reste, enfin, l’étrange attitude du gouvernement français. Lundi, Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur, commentait, sur France Inter, l’accord avec les Etats-Unis comme s’il était un observateur extérieur : « Cet accord n’est pas équilibré. » François Bayrou a opté pour la même attitude critique, visant Bruxelles comme si le gouvernement français n’y pouvait rien. De deux choses l’une : soit ils font preuve de très mauvaise foi, puisque la France était partie intégrante des négociations, soit la voix française, qui appelait à une attitude plus dure de l’UE ces dernières semaines, est devenue inaudible à Bruxelles.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président américain, Donald Trump, à Turnberry, dans le sud-ouest de l’Ecosse, le 27 juillet 2025.


