Par Michel Revol
L’Institut Aristoclès a mené une vaste étude pour définir la collapsologie, ce courant de pensée qui prédit l’effondrement de notre civilisation.
La collapsologie dont Cochet se revendique a le vent en poupe. Le concept, néologisme forgé à partir du terme anglais « to collapse » (s’effondrer), a été proposé en 2015 par le Français Pablo Servigne et le Belge Raphaël Stevens. Selon eux, la fin du monde approche à grands pas. En mêlant diverses matières scientifiques, ils montrent que le progrès, fondé sur l’exploitation des ressources, conduit à l’effondrement de nos civilisations.
72,4 % des Français pensent que « tout peut s’effondrer »
L’Institut Aristoclès a mené une étude pour saisir la portée de cette matière — doit-on dire « science » ? — en France. Le discours alarmiste de Greta Thunberg semble frapper les esprits français : selon Aristoclès, 72,4 % des personnes interrogées se disent d’accord avec le présupposé collapsologique selon lequel « tout peut s’effondrer », et 92 % d’entre eux pensent que les catastrophes se développeront dans les années à venir. Ils les voient venir à 88,9 % dans le domaine de l’environnement, à 71,4 % dans le champ social et à 67, 2 % dans le secteur économique. Une sorte de théorie environnementale des dominos : le réchauffement de la planète conduira, selon eux, à de multiples bouleversements frappant tous les secteurs. Les Français restent toutefois un brin optimistes : 91 % pensent que la société civile peut agir pour obtenir des résultats positifs sur l’environnement. Nous ne serions donc pas tous foutus.
Dans un fatras colporté par les collapsologues, l’Institut Aristoclès tente d’y voir plus clair. La collapsologie est-elle une science ? Est-elle malgré tout utile, ou inutilement alarmiste ? Comment contrer la rumeur, qui s’épanouit sur les réseaux sociaux ? Le point de vue de l’un des contributeurs de l’étude, Bruno Deffains, docteur en sciences économiques, professeur à l’université Paris-2-Panthéon-Assas et directeur du Centre de recherches en économie et droit (CRED).
Le Point : La collapsologie trouve ses origines dans la publication du rapport Meadows, réalisé en 1972 par des chercheurs du MIT, elle s’appuie sur des travaux dits scientifiques, elle bénéficie de relais dans les médias. Est-ce une science ?
Bruno Deffains : Je ne la qualifierai pas de cette manière, même si la collapsologie s’appuie sur des éléments scientifiques. Une science ne se détermine pas seulement par un rassemblement d’idées, de notions, même de vérifications. Il faut aussi un raisonnement. Or, en l’occurrence, le raisonnement fait défaut. Je rejoins ses travaux autour de la théorie des systèmes, mais pour mieux les critiquer. Je montre que la complexité des systèmes économiques, sociaux ou encore environnementaux est telle que, lorsqu’on les met ensemble, personne n’est capable d’en prédire avec exactitude le résultat. L’effondrement que prévoit la collapsologie est un point d’équilibre, un résultat, mais un parmi d’autres. Ce qui fait la différence entre la vision collapsologue et la vision scientifique, c’est l’importance et le poids qu’on ajoute à telle ou telle dimension. Il faut aussi souligner que les systèmes complexes ont une capacité de résilience formidable, ce que ne prennent pas assez en compte les collapsologues. L’effondrement est loin d’être une certitude au regard des théories des systèmes économiques.
Cette discipline, si elle est biaisée dans son approche et ses résultats, peut-elle être malgré tout utile ?
Elle peut l’être quand elle nous aide à repenser nos institutions ou nos études économiques. Prenez la notion d’entreprise dans le Code civil. Pendant des décennies, l’entreprise était définie comme une entité qui a pour unique but de maximiser ses revenus. Depuis la loi Pacte, on a redéfini cette notion en introduisant la raison d’être sociale de l’entreprise. Nos économies ont commencé à s’adapter dans leur structure, comme cette redéfinition le montre. La collapsologie a le mérite de poser les termes d’un débat de société, mais il convient de bien le nuancer afin de tomber ni dans le naturalisme ni dans l’économisme.
Greta Thunberg, souvent vilipendée, a donc raison de mettre le doigt là où ça fait mal
Oui, d’une certaine façon. La collapsologie n’est pas une science, elle n’établit pas des faits exacts, mais elle a le mérite de nous obliger à nous interroger. De plus, il est faux de dire que rien n’est fait pour éviter le pire. Dire cela, c’est dangereux, car on risque de relâcher les efforts. Je ne peux pas suivre les collapsologues sur ce point. En revanche, on peut s’interroger sur la vitesse avec laquelle on prend des mesures correctives.
Les thèses collapsologues, ou « effondristes », prospèrent parce que la rumeur est difficile à contrer de manière scientifique, surtout sur les réseaux sociaux. Comment peut réagir la science ?
Il faut lui laisser plus de place en nous aidant, nous, enseignants-chercheurs, à considérer le sujet de la collapsologie comme un sujet de recherche scientifique. Nous devons le faire de manière interdisciplinaire, justement parce que la collapsologie l’est, et c’est son intérêt. Elle intéresse les sciences dures, la sociologie, l’environnement, le droit, l’économie, l’histoire. Tous ces domaines doivent être rassemblés. Je souligne aussi l’impérieuse nécessité d’être audible. La rumeur ira toujours plus vite que la vérité établie — dans la mesure où cette vérité existe, parce que la science progresse toujours. Le monde de la science doit s’exprimer autrement que par des voix isolées.
Le Point.fr