Selon une étude, une hausse de revenu de 100 euros des personnes proches du smic est amputée de 40 à 50 euros en moyenne par le système socio-fiscal
Une étude publiée dans la revue Économie et statistique publiée en janvier, mais passée inaperçue, met le doigt sur ce phénomène. Son auteur, Michaël Sicsic, s’est notamment penché sur le taux marginal d’imposition prélevé sur un individu, c’est-à-dire ce qu’il perd en prestations et paie en impôts supplémentaires pour tout euro de revenu additionnel. Sur 100 euros de revenu en plus, le gain net est ainsi moins élevé. Il peut, par exemple, être de seulement 60 euros si le taux marginal est de 40 %, voire moins.
Une augmentation du revenu liée au travail peut en effet entraîner, outre l’augmentation de l’impôt sur le revenu, la perte ou la diminution de prestations touchées auparavant, en fonction des revenus du conjoint ou du nombre d’enfants à charge.
La fin de la « courbe en U »
Entre la fin des années 1990 et 2014 (dernière année de l’étude), les taux marginaux d’imposition en fonction des revenus (plus ou moins élevés) ont évolué. Il y a 20 ans, ils avaient une forme en U. Autrement dit, ils étaient élevés au bas de la distribution des revenus puis diminuaient rapidement avant de remonter pour les plus aisés. Cette hausse des taux marginaux sur les revenus des plus fortunés s’explique facilement. Elle est liée aux taux progressifs de l’impôt sur le revenu. Pour la dernière tranche, ce taux atteint 45 %.
Pour les Français aux revenus les plus modestes, le taux marginal élevé s’expliquait par l’amputation des prestations sociales qui se produisait lorsqu’ils reprenaient un emploi. Ce que les économistes qualifiaient de « trappe à pauvreté ». Ils étaient très peu incités à reprendre un travail. « Il y avait même des personnes qui faisaient face à des taux marginaux de plus de 100 %. Il en existe toujours, mais beaucoup moins », souligne Michaël Sicsic.
Depuis, le taux marginal a beaucoup baissé pour les 20 % des Français les plus pauvres, grâce à la création de la prime pour l’emploi sous Lionel Jospin puis du RSA activité sous Nicolas Sarkozy, deux dispositifs transformés en prime d’activité sous François Hollande, laquelle vient d’ailleurs d’être fortement augmentée par Emmanuel Macron pour répondre au mouvement de colère des Gilets jaunes. Il est donc aujourd’hui financièrement beaucoup plus intéressant de travailler plutôt que de rester inactif.
Mais la contrepartie de ces réformes est que le problème des taux marginaux élevés a été repoussé un peu plus haut dans l’échelle des revenus, vers les Français qui sont déjà en emploi et qui n’ont pas le bénéfice de la prime d’activité. Si bien que la courbe présentait en 2014 non plus une forme en U, mais en tilde (˜). Un constat global toujours valable aujourd’hui.
Les femmes seules avec enfant particulièrement touchées
L’étude montre que, depuis la fin des années 1990, les taux moyens marginaux d’imposition ont beaucoup augmenté pour les personnes appartenant aux 20 % des Français situés juste au-dessus des 20 % aux revenus les plus modestes. Pour eux, le taux marginal moyen dépasse 40 %. Ceux qui gagnent un peu plus d’un smic, qui marque aujourd’hui le seuil d’entrée dans l’impôt sur le revenu, sont même confrontés à un taux moyen qui dépasse 50 %, avec l’extinction de la prime d’activité et l’entrée brutale dans l’impôt sur le revenu, notamment liée à un mécanisme complexe appelé « décote ». Autrement dit, chaque fois qu’ils touchent 100 euros de revenu additionnel, 50 % passent en baisse de prestation ou en augmentation d’impôt. Ces personnes appartiennent à la classe moyenne inférieure, dont on a beaucoup dit qu’elle s’était mobilisée sur les ronds-points…
limpôt marginal réel varie beaucoup en fonction de la situation personnelle (structure familiale, aides auxquelles la personne à droit, etc.) Résultat, 10 % des personnes qui gagnent entre 0,5 fois le smic environ et 1,2 fois le smic, soit environ 2 % de la population, peuvent même être confrontées à des taux marginaux supérieurs à 70 %, quand d’autres connaissent, au contraire, des taux marginaux beaucoup plus faibles un peu supérieurs à 20 %. « Par exemple, il y a un seuil de non recouvrement de l’impôt sur le revenu de 61 euros. Si vous devez un impôt juste inférieur à ce minimum de perception, alors une augmentation infinitésimale de votre revenu provoque un surplus d’impôt d’au moins 61 euros, qui augmente le taux marginal d’imposition », explique Michaël Sicsic.Les femmes seules avec enfant sont particulièrement touchées. « Les parents de familles monoparentales à faibles revenus reçoivent souvent davantage d’allocation logement et de minima sociaux (RSA majoré pour les parents isolés) ; ils en perdent donc d’autant plus en cas d’augmentation de leurs revenus d’activité », écrit Michaël Sicsic dans son étude.
Ce constat a dans doute inspiré le gouvernement, qui a affiché sa volonté de baisser l’impôt sur le revenu, notamment pour les ménages imposables du bas de la distribution des revenus, dans le cadre des conclusions tirées du grand débat national. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait plusieurs fois souligné que certaines personnes étaient confrontées à un taux marginal d’imposition de « 40 % ». L’idée est de garantir que l’augmentation des revenus paie davantage et ne soit pas perdue en bonne partie en impôt ou en baisse de prestations.
Par Marc Vignaud