Six ans après sa création, l’AfD confirme sa percée à l’est, avec de très bons scores aux élections régionales en Saxe et dans le Brandebourg.
La CDU et le SPD, les deux grands tankers de la politique allemande, l’ont une fois de plus échappé belle. Aux élections régionales de dimanche dans la Saxe, ils perdent certes des plumes, mais conservent leur première place, alors qu’il y a quelques semaines à peine les sondages annonçaient que l’AfD, le parti populiste d’extrême droite, risquait fort de devenir dans les deux Länder la première force politique.
Les sociaux-démocrates arrivent en tête dans le Brandebourg, les chrétiens-démocrates restent le premier parti de la Saxe. Mais dans les deux Länder de l’Est, ils sont talonnés de près par les populistes de l’AfD, vainqueurs incontestables de ce test très attendu. Six ans après sa création, l’AfD poursuit donc sa conquête, particulièrement fulgurante à l’est. Elle triple presque son score en Saxe (27,5 % des suffrages dimanche, une hausse de 17,7 % par rapport aux précédentes élections) et double quasiment celui du Brandebourg (23,5 %, une hausse de 11,3 %). Face à ces chiffres, les 12,5 % recueillis lors des dernières législatives de 2017 qui lui ouvrirent les portes du Bundestag à Berlin font pâle figure.
« Nous n’avons pas encore atteint notre zénith ! » paradait Alexander Gauland, le père fondateur de l’AfD, lors d’un talk-show dimanche soir. Face aux représentants des autres partis médusés, Gauland affirmait que son parti serait bientôt appelé à gouverner. L’AfD se félicite d’être devenue le parti qui « représente le peuple ». Un « Volkspartei » comme les autres. Si 75 % des Allemands de l’Est ont voté pour un parti traditionnel, il n’en reste pas moins que les 25 % restants forment le socle de l’AfD. Déçus par la tangente centriste prise par le parti avec Angela Merkel, 85 000 électeurs de la CDU ont mis la barre à droite et voté AfD lors de ces deux scrutins.
Ce sont donc des parlements régionaux atomisés et polarisés qui auront désormais pour mission de former de nouvelles alliances de coalition. Deux partis ne suffiront plus à constituer une majorité, il va falloir composer à trois. Dans le Brandebourg, dirigé jusqu’à présent par une coalition rouge (SPD)-rouge (CDU), il va donc falloir inventer un autre modèle. Pour le moment, seule une coalition de type Kenya, assortie aux couleurs du drapeau de ce pays – noir (CDU)-rouge (SPD)-verts (Die Grünen) –, est envisageable. D’âpres négociations risquent d’être nécessaires pour former cet attelage inédit qui, pour la première fois, serait au pouvoir en Allemagne.
Le pays plus divisé que jamais
Sur un point au moins tout le monde semble d’accord : tous les partis traditionnels ont répété qu’il n’est pas question de former une coalition avec l’AfD. Lundi matin, Annegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la CDU, s’empressait de remettre clairement les pendules à l’heure : pas d’alliance avec l’AfD. Ces élections très attendues sont un signal pour la Groko, la coalition CDU-SPD bancale qui gouverne à Berlin sous la houlette d’Angela Merkel. Une hécatombe pour l’un des deux partis aurait sans doute sonné son glas. Il aurait été difficile pour la CDU et le SPD de légitimer leur maintien au pouvoir. Une défaite des sociaux-démocrates dans le Brandebourg, un bastion qu’ils dirigent depuis les premières élections libres après l’unification, aurait réveillé les voix qui, au sein du parti, réclament depuis des mois, une sortie de la Groko. Le SPD et l’Allemagne tout entière auraient été précipités dans une crise politique à l’issue incertaine.
Dans le contexte actuel, vu la faiblesse des partis démocratiques et la force de l’AfD, Angela Merkel et ses alliés à Berlin ont tout intérêt à éviter la tenue de nouvelles élections qui pourraient leur être fatales. Au-delà des problèmes de stratégie politique qu’elle soulève, cette radicalisation de l’Est pose une question de société fondamentale et un paradoxe : jamais l’Allemagne n’a été aussi divisée alors qu’elle s’apprête à fêter les 30 ans de la chute du Mur. Selon un sondage publié récemment, 66 % des Allemands de l’Est ont encore l’impression aujourd’hui d’être des citoyens de seconde classe. Un sentiment d’humiliation que partagent 78 % des électeurs de l’AfD. Les salaires et les retraites sont toujours inférieurs à l’est. Après l’unification, les élites de l’Est ont été remplacées par des décideurs venus de l’ouest… S’ajoutent à ce sentiment d’injustice la peur du déclassement et de l’avenir, le ressentiment vis-à-vis des demandeurs d’asile et l’impression de voir son identité allemande se dissoudre dans le grand bain de la mondialisation.
De notre correspondante à Berlin, Pascale Hugues