Par Armin Arefi
Le président américain va révéler aux côtés du Premier ministre israélien, en pleine tourmente judiciaire, un plan de paix qui lui est très favorable
L’invitation en a surpris plus d’un. À un mois des élections législatives israéliennes – les troisièmes en un an –, Donald Trump a convié à la Maison-Blanche les deux favoris du scrutin : Benyamin Netanyahou et Benny Gantz. L’objectif affiché : présenter aux deux adversaires l’« accord du siècle » que le président américain a mijoté depuis trois ans, par le biais de son gendre et conseiller Jared Kushner, pour mettre fin, selon lui, au conflit israélo-palestinien. C’est le Premier ministre sortant et « ami » du président américain, Benyamin Netanyahou, qui aura les honneurs d’être reçu en premier dans le Bureau ovale, lundi 27 janvier. Puis viendra le tour de son rival Benny Gantz.
Cette intrusion soudaine de l’allié américain dans la campagne israélienne a lieu à la veille d’une date cruciale en Israël. Mardi, un comité parlementaire de la Knesset va commencer à étudier la demande d’immunité parlementaire de Benyamin Netanyahou, inculpé pour « corruption » dans trois affaires qui menacent sa réélection. En parallèle a lieu en ce moment à Washington le procès en destitution de Donald Trump, accusé d’avoir utilisé les pouvoirs de sa présidence pour contraindre l’Ukraine à enquêter sur son rival démocrate, Joe Biden.
« Chronologie électorale »
« Lorsque l’on regarde la chronologie électorale, on constate clairement une volonté de Donald Trump et de Benyamin Netanyahou de s’entraider », analyse David Khalfa, chercheur à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). « Il est incontestable qu’il existe une volonté de Benyamin Netanyahou, en coordination avec l’administration américaine, de tendre un piège à son opposant Benny Gantz. Cette invitation collective à Washington visait à illustrer un rapprochement entre les deux hommes pouvant aboutir à la constitution d’un gouvernement d’union nationale, seule issue pour Netanyahou. Or, en agissant de la sorte, il coupait l’herbe sous le pied de Gantz qui a axé toute sa campagne sur le rejet de Netanyahou. »
Refusant de laisser au seul chef du Likoud le soin de recueillir l’« accord du siècle » israélo-palestinien, et dans l’incapacité de rejeter l’invitation présidentielle américaine, le leader du parti centriste Blanc-Bleu a finalement accepté de se rendre à la Maison-Blanche à condition de rencontrer séparément Donald Trump, et de repartir dès le lendemain en Israël. « Gantz a réussi à s’extraire d’une situation où il aurait donné quitus à Netanyahou pour négocier un accord de paix et déterminer les frontières futures de l’État d’Israël, poursuit David Khalfa. Dès le lendemain, il sera en Israël pour voter contre l’immunité parlementaire de Netanyahou, lui qui fait campagne pour mettre fin à son règne. »
Vers l’annexion des territoires palestiniens
C’est pourtant sans Benny Gantz mais aux côtés de « Bibi » que Donald Trump devrait annoncer mardi son « accord du siècle », que le Premier ministre israélien sortant voit d’ores et déjà comme « historique ». Si les détails exacts ne sont pas encore connus, le plan devrait, selon toute vraisemblance, écarter de nombreuses demandes palestiniennes. Pas de mention pour l’heure d’un État palestinien, aucune souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est et pas de démantèlement des colonies israéliennes en Cisjordanie, pourtant illégales au regard du droit international. En résumé, le document ne respectera sans doute pas les fondamentaux connus d’une résolution « juste et durable » du conflit israélo-palestinien, tels que décrits par les résolutions de l’ONU : deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, selon les frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale des deux pays.
Au contraire, selon plusieurs indiscrétions récemment publiées dans la presse américaine et israélienne, l’« accord du siècle » devrait être très favorable à Israël. Il devrait notamment reconnaître les colonies israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie comme faisant partie de l’État hébreu, de même que la vallée du Jourdain, zone stratégique située à la frontière avec la Jordanie. En échange, les Palestiniens bénéficieraient d’une autonomie politique sur le reste de leur territoire, ouvrant la voie à une possible souveraineté, ainsi qu’un plan d’investissement de 50 milliards de dollars pour le développement des infrastructures en Cisjordanie et à Gaza, grâce notamment à des investissements en provenance de pays du Golfe.
Apartheid
Absents à Washington, les Palestiniens, qui boycottent l’administration américaine depuis qu’elle a reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël en 2017, ont d’ores et déjà rejeté le plan de Donald Trump. Celui-ci « va transformer l’occupation temporaire en occupation permanente », a dénoncé Saeb Erekat, secrétaire général de l’OLP, dans une interview à l’Agence France-Presse. Près de 600 000 colons israéliens peuplent aujourd’hui illégament Jérusalem-Est et la Cisjordanie, rendant sur le terrain plus qu’illusoire la viabilité de tout État palestinien. « En cas de refus palestinien, ce serait un feu vert à l’annexion d’une partie de la Cisjordanie », avertit néanmoins un diplomate expert du dossier. « Dès le début, l’administration Trump vise à légitimer la colonisation, et à terme l’annexion des territoires palestiniens, ce qui représente l’axe de l’alliance de Benyamin Netanyahou avec l’extrême droite. »
Promesse de campagne de Benyamin Netanyahou, l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par Israël est également défendue par son opposant Benny Gantz, qui fait lui aussi campagne très à droite sur les questions sécuritaires. « Il s’agit de légaliser la situation de facto sur le terrain », explique Hugh Lovatt, chercheur à l’European Council on Foreign Relations (ECFR) pour le Maghreb et le Moyen-Orient. « Mais ce plan risque de formaliser une réalité d’apartheid pour les Palestiniens et de mettre en danger le futur d’Israël en tant qu’État démocratique et majoritairement juif. »
Le Point.fr