Cinquante-huit eurodéputés du PPE ont refusé de sanctionner les entorses de Budapest aux valeurs européennes. Les identifier réserve quelques surprises.
Où sont les amis d’Orbán au sein de la droite européenne ? Le Premier ministre hongrois peut désormais les compter puisque 58 députés du PPE sur les 204 suffrages exprimés au sein du groupe ont refusé de déclencher, mercredi au Parlement, la procédure de sanction de l’article 7 à son encontre. Budapest a indiqué que la Hongrieengagerait un recours devant la justice européenne contre ce vote parlementaire.
Rappelons que ce vote ne portait pas sur la politique migratoire hongroise, mais sur bien d’autres griefs (voir le rapport Sargentini) comme les atteintes à l’État de droit, à la liberté de la presse, à la liberté académique, aux droits fondamentaux des Roms, des réfugiés politiques et des demandeurs d’asile, sans compter les soupçons de corruption liés aux fonds européens… Bref, autant de principes inscrits dans les traités européens, acceptés par les États membres et qui les obligent. Il ne fallait donc pas confondre le débat légitime sur la réforme en cours de l’asile et l’immigration avec les violations des droits fondamentaux des textes européens.
Le malaise de certains eurodéputés de la droite provenait notamment de la crainte d’une instrumentalisation des principes contre les options politiques d’un dirigeant. Orbán a tout de même été largement lâché. Le PPE, sa famille d’origine, a contribué à enclencher la procédure de sanction par 118 voix pour, 58 contre et 28 absentions.
Mais le plus intéressant est l’analyse des votes par pays au sein du PPE. Naturellement, Orbán a pu compter sur le soutien unanime des 12 eurodéputés de son propre parti, le Fidesz. Puis, ce sont les Croates et les Slovènes qui ont formé les rangs derrière lui à raison de 4 votes sur 5 dans ces deux petites délégations. Sur les Slovaques du PPE, 4 sur 6 ont voté contre la sanction. Chez les 7 Bulgares du PPE, 5 ont soutenu Orbán.
Sebastian Kurz sanctionne Viktor Orbán
Surprise, le chancelier Kurz – qu’on dit pourtant proche de la ligne Orbán – a fait voter ses troupes contre la Hongrie. Les 5 députés de sa formation, Österreichische Volkspartei, ont suivi sa consigne donnée la veille au soir. Comment interpréter ce lâchage du pays voisin ? Pour certains, c’est le signe que Kurz a « pris la dimension de son rôle de président intérimaire de l’Union européenne » et que, à ce titre, il ne pouvait plus longtemps fermer les yeux sur les libertés prises par Orbán avec l’État de droit sans affaiblir lui-même sa présidence de l’UE. Sebastian Kurz, même s’il est un anti-migrant convaincu, ne peut cependant pas imposer son agenda aux 28 États qu’ils représentent et animent pendant six mois. Il se doit de parvenir à des solutions consensuelles.
On pourrait croire, a priori, que les soutiens d’Orbán sont principalement à l’Est. C’est plus compliqué que cela, car le paysage politique national vient perturber cette lecture simpliste. En effet, en Pologne, la droite conservatrice ou modérée représentée par deux partis adhérents au PPE, le PSL (parti paysan polonais) et la plate-forme civique (PO) de Donald Tusk, est opposée au parti majoritaire, le PiS, actuellement au gouvernement. Comme Orbán revendique son alliance avec Kaczynski, l’homme fort du PiS, les élus du PSL (4) et du PO (18) se démarquent logiquement de Viktor Orbán sur le principe du « les amis de mes ennemis sont mes ennemis ». Mais le PSL préfère l’abstention (3 sur 4). En Roumanie, le PNL (Partidul Naţional Liberal) n’est pas non plus sur les thèses d’Orbán puisqu’un seul eurodéputé roumain du PNL a voté contre le déclenchement de la procédure de sanction.
Berlusconi, le meilleur allié d’Orbán à l’Est
À l’ouest, c’est en Italie, chez Forza Italia, qu’Orbán compte le plus de soutiens. Sur les 15 députés de la formation de Silvio Berlusconi, 11 ont refusé de déclencher la sanction (le président du Parlement, Antonio Tajani, ne prend pas part au vote). C’est assez curieux, car cette collusion ne fera que conforter l’OPA actuellement menée par Matteo Salvini, le leader de la Ligue, sur les restes de Forza Italia. Mais peut-être est-ce le but, au final ? L’après-Berlusconi de ce parti ne serait qu’une glissade vers la Ligue… Chez les Espagnols du Parti populaire, les remparts anti-Orbán sont plus solides : on ne compte que 3 votes sur 17 en faveur du leader hongrois.
Les Allemands, eux, ont démontré à la faveur de ce vote que, décidément, rien ne va plus entre la CSU et la CDU. Mis à part Manfred Weber, le président du groupe CSU, les 4 eurodéputés bavarois ont soutenu Orbán. La CDU, quant à elle, a fait bloc autour de la ligne Merkel contre le leader hongrois. Les Scandinaves comme les trois États baltes ont unanimement tourné le dos à Viktor Orbán, comme la Belgique ou les Pays-Bas.
La confusion des élus LR
Ce sont les eurodéputés français LR qui apparaissent les plus confus. Laurent Wauquiez, à Paris, avait tranché en faveur d’un soutien à Orbán, mais sa consigne… n’a pas été transmise au groupe, à Strasbourg ! Brice Hortefeux a repris les choses en main plusieurs jours plus tard, mais… lui-même a finalement changé d’avis le jour du vote en décidant de s’abstenir. Un scénario chaplinesque !
Résultat : sur les 20 eurodéputés français, les votes se sont répartis entre 9 approbations de la sanction, 3 votes en faveur d’Orbán et 6 abstentions. Les anti-Orbán sont conduits par Françoise Grossetête, vice-présidente du groupe PPE, Anne Sander, Alain Cadec, Michel Dantin, Marc Joulaud. À noter qu’Alain Lamassoure, Jérôme Lavrilleux, Élisabeth Morin-Chartier, Tokia Saïfi, en rupture avec la ligne Wauquiez, ne sont plus adhérents des Républicains mais toujours affiliés au groupe PPE. Les quatre ont voté en faveur de la sanction.
Les 3 votes contre la sanction sont le fait de Nadine Morano, de Franck Proust (chef de la délégation française) et d’Angélique Delahaye. Parmi les abstentionnistes, on trouve Michèle Alliot-Marie, Arnaud Danjean, Rachida Dati, Geoffroy Didier, Philippe Juvin et Brice Hortefeux comme évoqué plus haut. Deux autres – Renaud Muselier et Maurice Ponga – n’ont pas pris part au vote.
© FREDERICK FLORIN / AFP