L’opposition autrichienne fustige cette visite présentée comme « privée », mais qui sert l’agenda anti-européen du maître du Kremlin.
Ce qui est officiellement présenté comme une « affaire privée » suscite pourtant de vives critiques en Autriche où l’opposition reproche au gouvernement de coalition formé par les conservateurs et l’extrême droite de se comporter en « bras armé du régime russe au sein de l’Union européenne, compromettant ainsi la réputation de notre pays ». L’Autriche exerce ce semestre la présidence tournante de l’UE.
Karin Kneissl n’est pas membre du parti d’extrême droite FPÖ, qui plonge ses racines idéologiques dans le nazisme et qui fut, sous la présidence de feu Jörg Haider à la fin du siècle dernier, l’un des précurseurs du populisme de droite installé aujourd’hui dans la plupart des pays européens. Mais elle en est suffisamment proche pour avoir été nommée par ce parti au gouvernement. C’est elle qui a pris l’initiative d’inviter Vladimir Poutine lorsque le président russe est venu en visite d’État à Vienne, en juin dernier. Moscou a cependant attendu le 15 août pour confirmer qu’il y serait bien présent.
« La visite d’un despote n’est jamais privée »
En Autriche, le FPÖ est membre depuis décembre 2017 du cabinet fédéral dirigé par le chancelier conservateur Sebastian Kurz. Ce dernier, tout comme le chef du FPÖ, le vice-chancelier Heinz-Christian Strache, devait assister aux noces. Difficile dans ces conditions de parler « d’affaire privée ». Une « affaire privée » qui coûte aussi plusieurs centaines de milliers d’euros au contribuable autrichien en dépenses liées à la sécurité de l’événement, comme l’a calculé la presse autrichienne. « La visite d’un despote n’est jamais privée », a tonné le député Vert Michel Reimon, qui a exigé la démission de la ministre.
Comme beaucoup de partis populistes de droite en Europe, le FPÖ défend des positions résolument prorusses, critiquant notamment les sanctions décrétées par l’UE contre Moscou et approuvant l’annexion de la Crimée par la Russie. Le FPÖ rejoint sur ce point la Lega de Matteo Salvini en Italie, l’AfD allemande ou le Rassemblement national de Marine Le Pen en France.
Encourager l’euroscepticisme
Le tropisme prorusse des populistes s’explique en grande partie par l’admiration qu’ils portent au style de gouvernement autoritaire de Vladimir Poutine, qui a réprimé l’opposition, mis au pas les médias et transformé le Parlement russe en chambre d’enregistrement à sa botte. L’antiaméricanisme et l’antilibéralisme jouent aussi un rôle dans leur proximité idéologique, ainsi que la reconnaissance de « valeurs » sociétales communes, par exemple le refus de l’immigration musulmane et l’opposition au mariage homosexuel – quoique sur ce dernier point, certains partis populistes de droite européens aient pris leurs distances avec les conceptions poutiniennes en la matière. Des suspicions de financement russe des partis d’eextrême droite ont aussi été avancées ici ou là, mais n’ont été que rarement prouvées. Le Front national, lui, avait reçu en 2014 un prêt de 9 millions d’euros d’une banque russe.
Que recherche Vladimir Poutine en venant assister au mariage de la ministre autrichienne ? Contrairement à beaucoup de politiciens, le président russe ne rechigne pas à utiliser des occasions privées pour appuyer sa diplomatie. Il a ainsi raconté récemment à la radio chinoise qu’il lui était arrivé, à l’occasion de son anniversaire, de partager un verre de vodka et des saucisses avec le numéro un chinois Xi Jinping. Il a aussi participé à des soirées privées avec l’ancien président du Conseil italien Silvio Berlusconi, ou avec l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder.
Son objectif vis-à-vis des populistes européens, cependant, est clair : les encourager dans leur euroscepticisme afin d’attiser les divisions et les dissensions au sein de l’Union européenne. Il l’avait déjà fait comprendre lorsqu’il avait reçu Marine Le Pen au Kremlin juste avant l’élection présidentielle française de 2017. Un message qu’aura notamment enregistré la chancelière allemande, Angela Merkel, à qui Vladimir Poutine rend visite ce samedi à Meseberg près de Berlin, dans la foulée du mariage de la ministre autrichienne.