Le parquet européen ne poursuivra pas les terroristes ni les grands criminels. Mais seulement les grands fraudeurs à la TVA et au budget européen.
Les Pays-Bas viennent de rejoindre l’initiative européenne de constitution d’un parquet européen. Il s’agit du 21e État membre à adhérer à ce projet de « coopération renforcée », visant à doter l’Union européenne d’un procureur capable de poursuivre les grands fraudeurs. Ce parquet, en cours de constitution, sera opérationnel en novembre 2020. Mais ses compétences sont limitées : il ne sera habilité qu’à lutter contre la fraude au budget européen (au-dessus de 10 000 euros) ou la fraude à la TVA (au-dessus de 10 millions d’euros).
Le procureur européen pourra déclencher les poursuites et mener lui-même l’enquête, ce qui est actuellement impossible pour l’Olaf (Office européen de lutte contre la fraude), Eurojust (l’agence européenne pour la coopération judiciaire) et Europol (l’Office européen de police). Les personnes poursuivies seront déférées devant les juridictions nationales, et non devant la Cour de justice européenne. La directive PIF (Protection des intérêts financiers de l’UE), adoptée le 5 juillet 2017, lui servira de base légale. Il agira en toute indépendance et n’aura pas à répondre aux instructions des États membres.
La Hongrie et la Pologne font faux bond
Donc, pour l’heure, il n’est toujours pas question d’un parquet antiterroriste. Dans le domaine de la justice, les États membres ne sont pas tous prêts à déléguer cette compétence à un parquet supranational. « Voilà l’un des bons thèmes de la future campagne des européennes ; notre liste portera le projet de créer un parquet européen antiterroriste », indique Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI et membre de l’Alde (les libéraux européens). Emmanuel Macron avait, dans son discours de la Sorbonne, poussé pareillement en faveur de ce même parquet européen contre la grande criminalité et le terrorisme.
À ce stade, les pays adhérents au parquet européen sont, par ordre alphabétique, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. L’île de Malte (soupçonnée d’être une plaque tournante du blanchiment d’argent) a entamé la démarche d’adhésion. Manquent à l’appel : le Danemark, l’Irlande, la Suède, la Hongrie (dont l’utilisation des fonds européens est sujette à caution), la Pologne (récipiendaire des fonds européens les plus importants). Et naturellement, il ne faut plus compter sur le Royaume-Uni, sur le départ.
Réticences des parlements nationaux
« Plus le nombre d’États membres participants sera élevé, plus le champ d’action du parquet européen sera vaste, et plus les possibilités de recouvrement de fonds seront importantes, indique la Commissaire Vera Jourova, en charge de la Justice. Telle est la raison pour laquelle j’invite instamment tous les États membres qui ne l’ont pas encore fait à rejoindre ce réseau essentiel dans la lutte contre la fraude et la corruption, afin que nous puissions faire en sorte que chaque centime du budget de l’Union soit dépensé au profit des citoyens européens. » Cela n’a pas été si évident car ce projet a déclenché plusieurs « cartons jaunes » de la part des parlements nationaux, au nom du principe de subsidiarité. La commissaire Jourova a dû convaincre les parlementaires nationaux pour lever les obstacles.
La désignation du chef du parquet européen est encadrée par une procédure minutieuse et longue. Un comité de sélection de douze personnalités nommées pour quatre ans sera mis en place en octobre 2018. Sur les douze membres de ce panel, onze ont été désignés par la Commission en puisant parmi les anciens magistrats de la Cour de justice européenne, de la Cour des comptes de l’UE, d’anciens membres d’Eurojust ou des juristes nationaux de haut niveau. L’équilibre géographique et le sex-ratio ont été pris en compte.
Une centaine de candidatures attendue
Un seul sur les douze membres du comité a été élu par le Parlement européen. En l’occurrence, la candidature de Rachida Dati (ancienne garde des Sceaux) a été écartée au profit d’un ancien juge italien, Antonio Mura. Les douze membres du comité de sélection sont validés par le Conseil européen. Ce panel désignera le chef du parquet européen et les procureurs nationaux (un par État membre) qui relaieront son action.
Le poste de procureur en chef sera ouvert lors de sa parution au journal officiel de l’UE dans quelques semaines. Les candidats auront alors deux mois pour postuler. La Commission s’attend à une centaine de candidatures sérieuses à travers l’Europe. Le profil du poste exigera une grande expérience dans la coopération judiciaire, une spécialisation dans la criminalité financière et des facilités dans l’usage des langues européennes.
Un mandat de sept ans
Le comité de sélection établira une liste restreinte de quelques candidatures les plus qualifiées en fixant un ordre de préférence. Le candidat sera ensuite validé par le Conseil européen en mars 2019. Le chef du parquet européen sera nommé pour sept ans, le temps de mettre en place et de roder cette nouvelle institution. Les procureurs nationaux seront désignés pour six ans (avec une rotation à mi-mandat) et seront épaulés de procureurs délégués selon les tailles des pays (dix en Allemagne).
Le bâtiment qui abritera ce parquet européen sera situé à Luxembourg. De gros travaux de connexion informatique sont nécessaires de manière à ce que le parquet européen dispose de l’accès à de larges banques de données.
Le drapeau européen devant le Parlement de Strasbourg (illustration).
© Alexandros Michailidis / SOOC / AFP